Notre lettre 1228 publiée le 27 juin 2025
LA SUBVERSION CONCILIAIRE
OU LE DÉCHIFFREMENT INTERDIT
UNE CHRONIQUE
DE PHILIPPE DE LABRIOLLE
La jeunesse attachée à la Messe Traditionnelle, ou vetus ordo Missae (VOM), donne de l’urticaire aux évêques français. Le désert diocésain, avec son mandarin mitré et ses petits chefs adoubés, a découragé ceux qui, ayant compris que le Missel du Pape Jean XXIII, publié en 1962, n’etait pas plus « vetus » que le Concile lui-même, tout en restant infiniment plus riche, n’acceptait pas l’ostracisme. Le novus ordo missae (NOM) de Paul VI, rendu public en 1969 et imposé en 1970, n’était pas la célébration pratiquée par les Pères conciliaires, et moins encore en concélébration. C’est le Missel de 1962 qui était en vigueur au moment du Concile, encore faut-il le rappeler. De quel droit en systématiser le rejet ? Pour avoir les coudées franches en vue des lendemains qui auraient du chanter. Hélas...
Le clergé qui fait du Missel de Paul VI le Missel du Concile pratique donc un anachronisme, et falsifie la réalité d’une inflexion liturgique, voulue par Paul VI lui-même. L’acceptation du nouveau rit par les diocèses ne relevait pas d’un enthousiasme collectif, mais d’une soumission inconditionnelle, au nom de l’obéissance due au siège de Pierre. La nouvelle messe, adaptable à son public, donna lieu à de multiples scandales, et des chapelles plus ou moins « sauvages », à Paris notamment, offrirent courageusement des messes à l’ancienne, fort achalandées.
L’abbé Jean François Guérin, du diocèse de Tours dont il fut rayé, poursuivit son apostolat dans le diocèse parisien. Il adopta le NOM, qu’il célébrait avec pompe et dévotion, à la façon du VOM. Il entendait montrer que la substitution du NOM au VOM ne changeait rien à la religion de nos pères. Lorsqu’en 1976, la Communauté Saint-Martin prit naissance sous la houlette de l’abbé, pas un diocèse français n’a voulu d’elle. Pas un évêque français ne se montrait romain de façon identique au sémillant fondateur, dont le maitre-mot était « obéissance totale ». Si l’obéissance de l’un n’est pas celle des évêques français, pour ne citer qu’eux, c’est que le substantif « obéissance » est, à l’instar du mot « amour », vide de sens, si l’objet n’en est pas défini.
Formons l’hypothèse suivante : si l’abbé Guérin sous entendait « obéissance au Magistère du Pape », et que les évêques français, pour ne citer qu’eux, concevaient comme seul pertinent l’accueil inconditionnel de « l’esprit du Concile », il fallait induire de cette divergence, eu-égard à la dissymétrie des forces en présence, qu’une fiction théologico-politique, réservé aux Ordinaires, entendait, grâce aux mitres démiurgiques, périmer la Foi d’hier et les pratiques de l’Institution bimillénaire. Selon cet esprit du Concile, dont les actes devaient être acceptés en bloc, indépendamment de l’autorité spécifique de chaque texte, le VOM était perçu comme impropre à faire « toutes choses nouvelles ». Alors que le NOM, par sa plasticité d’une part, par l’ambition d’exprimer, non plus le Sacrifice propitiatoire, mais les émotions d’un public vibrant d’être ce qu’il croit être, entendait promouvoir sans entrave une nouvelle « lex credendi ». Il fallait, sans le dire, changer la Foi.
Les prêtres de Voltri, près de Gènes, furent ordonnés par le Cardinal Siri, romain à la façon de l’abbé Guérin, et même plus romain que Rome. La « formule » Saint-Martin ( théologie classique, soutane, NOM à l’ancienne) allait connaître un vif succès, qui contrastait avec le fiasco des diocèses, et palliait progressivement ledit fiasco, sous réserve de ne jamais en souligner les contours abyssaux. Le renfort apporté par les séminaristes de la Fraternité Saint Jean, suite à la crise profonde de cette Fraternité depuis les années 2010, permettait au Supérieur actuel de la Communauté Saint Martin de relever le défi d’une large incrustation dans les diocèses exsangues. La déclaration réitérée de l’abbé Paul Préaux à savoir « je n’ai pas de problème avec le Concile Vatican II », prouve, hélas, qu’il n’en a pas étudié, ou pas sérieusement, son esprit subversif.
Supposons que le Supérieur ait déclaré : J’ai un problème avec le Concile Vatican II, car ce qui est catholique n’est pas nouveau, mais ce qui est nouveau n’est pas catholique. En renonçant à tout privilège politique au nom de la Vérité dont elle doit diffuser l’accès, l’Église saborde son impact sur la vie collective, dénature sa mission, qui est sa raison d’être, et détruit la Chrétienté. Elle organise son sabordage, comme si son obsolescence avait été programmée, et se désintéresse du Salut des âmes, puisque la paix qu’elle préconise n’a plus besoin de l’Ordre français, pour ne mentionner que celui-là, et chrétien pour s’installer. Nos prêtres sont formés dans un esprit contraire à celui là.
Supposons même qu’il ait ajouté : la gnose d’un paradis terrestre sans le Christ, par le seul jeu de la tolérance et de la fraternité universelle, nommé « esprit du Concile », est démoniaque.
Chacun sait, bien sûr, que l’abbé Paul Préaux n’a pas tenu les propos qui lui auraient fermé l’accès au Titanic, pardon, aux diocèses en déroute. Mais il n’est pas concevable qu’il ait étudié, et fait étudier, les actes du Concile Vatican II sans percevoir, ou s’autoriser à percevoir, la subversion intime de cet assemblage, théologiquement et canoniquement aberrant de 16 textes à prendre en bloc, qui bafoue les droits de Dieu sur ses baptisés, les devoirs de ces derniers d’œuvrer à Sa Gloire par un culte public et des lois sociétales respectant Sa Loi. Et entretient un flou artistique quant à l’accès à la Vie Eternelle. Mais non, objecte-t-on, tout cela est rappelé. C’est rappelé ici, oui, mais contredit là, et aucun désaveu des égarés/égareurs n’est envisagé, comme dirimant pour le Salut.
Par fidélité à l’obéissant Monsignore Guérin, contempteur sur ordre du Missel de 1962, les Saint-Martin vont-ils faire nombre avec les évêques qui haïssent le VOM et travaillent en vain à l’éradiquer des consciences fidèles à l’enseignement constant ? S’ils avaient fait bon ménage avec Mgr Rey dans le Var, ils s’en voient écartés par son successeur. Et ailleurs ? Fiers de leur ligne de crête, ils sont exposés, ce qui ne veut pas dire condamnés, à « n’avoir aucun problème avec le Concile Vatican II », c’est à dire à identifier leur vocation de prêtres de Jésus Christ à servir une Eglise des sacristies qui ne dérange en rien la Cité terrestre et ses séductions vaines. L’hostilité de leur fondateur à la Messe traditionnelle de 1962 l’avait, rappelons le, conduit à dédaigner pour ses troupes, et ceci contrairement à la Fraternité Saint Thomas Beckett, le motu proprio libérateur de Benoit XVI. " Une décision qui donne raison à ceux qui ont désobéi martelait alors un l'abbé Guerin viellissant paraissant souvent incoherent à ses fils surpris et incrédules "
Conduits par les déboires diocésains à en récupérer les dépouilles opimes, les Saint-Martin vont-ils se soumettre aux ukases castrateurs de mitres impuissantes ? En d’autres termes, leur succès réel, quoique relatif, va-t-il les combler au point de renoncer à quelque discernement critique sur le contexte de leur ascension, à savoir le fiasco conciliaire ? Vont ils conserver la soutane des prêtres tridentins, hommes séparés pour la gloire de Dieu ? Vont-ils supporter la haine du petit monde diocésain vis à vis de l’habit qui les distingue et les honore? Vont-ils continuer à montrer le chemin du Ciel, à rebours des évêques préoccupés de tolérance totale pour le monde, et de tolérance zéro vis à vis de ce dynamique clergé supplétif ?
Si d’aucuns rêvaient de promotion en hurlant avec les loups conciliaires hostiles au VOM, cette alliance aurait pour effet de les appauvrir inéluctablement. L’avenir appartient à Dieu, mais les mêmes causes produisent les mêmes effets. Si, au nom de l’obéissance, ils boivent la cigüe conciliaire, ils dépériront comme leurs ainés. L’héritage de l’abbé Guérin est globalement estimable, à l’exception de sa méprise, étonnante mais opiniâtre, quant à la richesse de la Messe Traditionnelle qui a construit l’Église. Il s’agissait, rappelons le, de la messe ...de son ordination sacerdotale.
Cette cigüe conciliaire, on la trouve à la page 674, au paragraphe 1 de la déclaration « Dignitatis Humanae ». « (…) la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même, qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance ». Ce qui a pénétré l’esprit de nos premiers parents avec autant de douceur que de puissance, c’est la séduction du démon. On connaît la suite...Même Spinoza ne s’égare pas à ce point, conscient des passions tristes qui brouillent le discernement. A croire que les Pères Conciliaires n’ont jamais éduqué, ni vu éduquer un petit d’homme, se contentant d’obéir à un aveugle, conducteurs d’aveugles.
La fiction du discernement individuel intégral est née, en philosophie française, chez Descartes. L’évidence des idées claires et distinctes crée non pas la vérité mais la certitude. Mais Descartes se garde d’expliquer en quoi la certitude de l’un le dispose à faire société avec le porteur d’une certitude différente, ni comment ils peuvent s’entre-aider pour accéder à la vérité du Réel. Elève de Galilée, Descartes explique le monde en langage mathématique. IL déforme le monde réel au profit d’un monde abstrait qui n’est pas le nôtre. Pas plus que le monde de Gaudium et Spes n’a de réalité, sinon imaginaire. C’est désastreux mais on continue. Plus tard, Flaubert, dans Bouvard et Pécuchet, raillera la prétention de reconstruire à deux, l’espace d’une vie (bien entamée, du reste), le savoir de son temps. Pour trouver sa place, l’enfant compte sur ses ainés. C’est d’eux qu’il tient la présentation du monde. C’est la vie. C’est comme ça. Le bloc conciliaire est plombé par les mensonges de Dignitatis Humanae. Ce n’est pas nouveau. Ces mauvais textes sont toxiques, mais jamais corrigés par les hiérarques. Ils en répondront...
Philippe de Labriolle
Psychiatre Honoraire des Hôpitaux