Notre lettre 1257 publiée le 28 août 2025

LE QUOTIDIEN LE MONDE

S'INTÉRESSE AU DOSSIER MARTHE ROBIN... **

POUR EN DIRE QUOI ?

UNE CHRONIQUE
DE PHILIPPE DE LABRIOLLE

Le quotidien « Le Monde », fondé à la Libération par Hubert Beuve-Méry, démocrate-chrétien in petto, est devenu au fil des décennies, un journal de référence pour son sérieux et sa fiabilité. La ligne éditoriale, forgée depuis Uriage, oû un club de « reconstructeurs » préparait un après-guerre politique ancré à gauche, en se mettant au service d’une République prête à gouverner sans le parti communiste français.

Le sérieux du « Monde » n’a jamais été gravement écorné, même s’il fut souvent mis en doute. Les sujets religieux, tels que le Concile Vatican II, ont été longtemps confiés à un certain Henri Fesquet, dont les chroniques distillaient un modernisme policé mais avéré et délétère. Du « Monde », on recevait la doxa avec dévotion ou aversion, selon que l’on prisait ou pas les convictions « bien en cour ».

Cet été 2025 nous est l’occasion d’observer l’intérêt porté par le quotidien du soir sur la personne de Marthe Robin (1902/1981), dans une suite de cinq articles assez substantiels, et l’on s’attend à bon droit d’y trouver une relecture fructueuse de cette vie hors du commun, près d’un demi-siècle après son décès.

Si le périodique « au dessus de la mêlée » était en peine de remplir ses colonnes durant la trêve estivale, et se contentait de noircir du papier sans apporter quelque contribution nouvelle au débat, réactivé depuis 2020 par des travaux à charge contre la fiabilité de la paysanne alitée mais mondialisée, on imagine sans peine la déception du lecteur.

Le survol effectué par la rédaction du journal le plus sérieux de France, tout au moins aux yeux de l’intelligentsia qui lui est acquis, peut paraître richement documenté à ceux qui ne sont pas familiers du « phénomène » Marthe Robin. Essentiellement biographique, le premier épisode campe ce destin simultanément triste et étonnamment fécond, si l’on met en perspective le vie « rétrécie » de la « voyante prétendue », et l’extension des Foyers de Charité dont elle approuva l’esprit.

Ce que « le Monde » offre à la lecture relève de la contraction de textes divers, et il nous faut déchanter. Aucun élément n’y figure qui fasse progresser la réflexion, et, à terme, la séquence prometteuse tourne court. « Le Monde » tranche sur le seul point suivant : c’est à l’Église Catholique de trancher. Sainte ou pas Sainte. « Le Monde » devait aller plus loin qu’il n’est allé : crédible, ou non crédible ?

Le dossier ne tait pas ce qui dessert la Postulation et qui, pour l’essentiel, provient du travail approfondi du Père De Meester, expert en mystique féminine. Les multiples emprunts, non signalés comme tel, à d’authentiques mystiques sont indignes de celle qui prétend se servir d’un fonds personnel. De celle qui a osé dire du Christ,, « C’est lui et rien que lui toujours qui parle et agit par moi », on peine à croire qu’elle ait du piocher dans ce que le Christ a réservé à d’autres…

Quand on lit : « A l’été 1918, sa vie bascule (ce qui est vrai)...La maladie ne la quittera plus », de quelle maladie s’agit-il ? Motus. Suivront six décennies d’esquive médicale, avec refus opiniâtre de l’observation en milieu médical. Là non plus, le dossier note, sans s’étonner. Celle qui a été décrite un peu plus haut comme « intelligente, joyeuse, ouverte et taquine, active aux champs, qui aime danser, s’amuser, rire, aller aux bals des alentours », voit sa vie basculer à 16 ans sans qu’on en recherche la cause précise ?

Le récit de la mort de Marthe oscille entre dégoût, en raison du méléna méphitique, chaussons usés (et répugnants, ce qui n’est pas dit ici), et indignation devant l’obtusion du Père Finet, qui croit entendre « Il m’a tuée » (sic). Le démon, à défaut d’Omar. Le clerc enchaîne : « Le démon l’a tuée, la Sainte Vierge va nous la rendre » (re-sic). Un prêtre présent sur place déclare : « Il (Finet) était très étonné qu’elle soit morte comme cela, sans lui avoir demandé la permission de mourir » (re-re-sic). Comment « le Monde » peut il publier ces citations (exactes) sans en percevoir, ni en mentionner l’irrationalité la plus manifeste ?

Faut-il concevoir que tout ici est restitué avec précision au premier degré, et relaté au second ou au troisième degré, en tentant de la sorte d’être quitte quant à la distance scientifique entre le sujet observant et l’objet saisi chez un tiers ? C’est la faiblesse insigne de ce travail qui paraît observer depuis Sirius, et, par quelque « épochè » rétentrice du jugement, ne perçoit pas le ridicule de ce qu’il restitue.

Les parties suivantes de cette compilation vont accentuer le phénomène. Le deuxième chapitre analyse l’expansion des Foyers sous l’angle politique. L’oeuvre s’étend. Ce qui la fait vivre relève de sa réponse à un besoin, sous la houlette du Père Finet. Marthe attire largement. Mais les vaticinations de Marthe portent à faux. Traité de pétainiste « notoire », comme le furent quarante millions de français jusqu’au débarquement en Normandie, le Père Finet devient suspect. Mais Marthe prévient le Maréchal qu’il sera trahi un jour ou l’autre, point confirmé. Et alors ?

Hélas, Marthe n’attire pas que des influenceurs du monde politique ou médiatique. Un essaim de tristes sires, se réclamant d’elle, abusent de l’autorité cléricale. Mais Marthe, la voyante, ne voit rien. C’est trop près, et trop terre à terre. Idem face au suicide de son frère en 51. Celui qui habite à la Plaine, comme elle. Non, elle n’a rien vu venir. Marcel Clément, le fidèle zélateur, en est offusqué…

Le troisième chapitre expose le travail du Père De Meester. Il ne reste pas grand-chose du mythe Marthe, dont ni la mystique, ni les handicaps, ni l’inédit ne sont validés. Fureur des séides, dont l’évêque Mgr Marchand, qui hurle avec les loups. « Touche pas à ma Drôme » avertissait le Père Vignon, gardien du temple.

Le chapitre quatre est un chapitre à décharge, ou le croit-il. Marthe est une victime. Or, ma Marthe est intouchable. C’est pour cela qu’elle est offensée. On interroge des proches, survivants, nonagénaires. Marthe, c’est toute leur vie. Soit. Mais ces témoins n’ont rien à objecter aux critiques dérangeantes. Et pourquoi s’en donneraient-elles la peine malgré le chemin de pénitence infligé aux Foyers puisque, depuis 2014, Marthe est Vénérable ? Du reste, pourquoi les Foyers accepteraient ils de battre leur coulpe, puisque Marthe est Vénérable ?

Le chapitre 5 ne peut masquer l’embarras d’un tri qui s’impose, à condition d’adosser aux arguments rassemblés, à charge ou à décharge, un coefficient de sérieux et de fiabilité, ce que « Le Monde » ne saurait dédaigner. Joachim Bouflet, autre expert reconnu des vraies et fausses mystiques, donne raison au Père De Meester sur le fond, mais il se refuse à accuser Marthe de tromperie délibérée. Il forme l’hypothèse d’un trouble de la personnalité, sous la forme d’un syndrome des personnalités multiples. Il n’y aurait pas une Marthe, mais plusieurs. Marthe se trompe, à l’insu de son plein gré…

Bouflet pointe une souffrance extrême, à l’origine de cette fragmentation mentale. Il a raison quant à la souffrance, mais il n’en dit rien de concret. En pratique, le vrai travail qui fait avancer la réflexion est celui de Madame le Docteur Chevassus *, travail mentionné, déclaré controversé, et exploité partiellement. Cette consœur franchit le Rubicon, là oû les autres calent. Les hypothèses soulevées sont tragiques, voire insupportables. Pour échapper à l’observation qui serait fatale au mythe Marthe, la « grabataire » se serait exposée au froid hivernal, volontairement. En clair, elle s’est suicidée. Effrayant, non ? A défaut, qui a laissé deux nuits durant fenêtre et volets grand ouverts ?

« Le Monde » laisse à l’Église le soin de trancher, nous l’avons vu. On attendait plus et mieux de ce journal témoin et mentor de son temps. Comment une jeune adolescente gaie et espiègle, aimant rire et chanter, peut-elle voir sa vie basculer à seize ans sans que la cause de son mal ne soit nommé ? Notre consœur Chevassus a le courage de cette exploration dans « Marthe Robin et le secret de famille * ». Que ceux qui repoussent son raisonnement, après lecture attentive, aient le courage d’énoncer leur propre hypothèse, qui « coche autant de cases », selon le mot de notre consœur.

Pour ceux qui connaissent le dossier hagiographique et le dossier critique, le dossier du « Monde » expose en vrac des arguments insuffisamment pesées, et, selon nous, prépare l’opinion à quelque décision arbitraire et simultanément souveraine. Ce journal à l’influence puissante pouvait certes ignorer le thème sur lequel il s’est pourtant hasardé. Pourquoi doute-t-il de sa dialectique, au point de botter en touche ?


Philippe de Labriolle

Psychiatre Honoraire des Hôpitaux

* C’est aujourd’hui, sous le titre « Marthe Robin, un secret de famille », livre refusé par tous les éditeurs, et diffusé par Amazon exclusivement, que, documents mis à l’appui d’une expérience chrétienne et clinique, prend vie sous la plume d’Élisabeth Chevassus le tragique parcours que nous ne saurions dévoiler ici. Que ceux qui veulent enfin accéder à un récit cohérent et plausible de la vie de Marthe Robin fasse l’acquisition et la lecture de cet extraordinaire ouvrage, remuant jusqu’aux tripes. C’est le respect que l’on doit au courage de cette consœur à laquelle j’adresse un salut confraternel sans réserves.


** Les 5 articles du journal Le Monde

 


 


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