Notre lettre 449 publiée le 22 juillet 2014

CARDINAL ANTONIO CAÑIZARES : 2ème partie : OUVRIR LE TRÉSOR LITURGIQUE DE L'ÉGLISE À TOUS LES FIDÈLES

En exclusivité, nous vous proposons la suite de la préface donnée par le cardinal Cañizares, préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, à la thèse que vient de publier le père Alberto Soria Jiménez, un bénédictin espagnol, sur les principes d'interprétation du Motu Proprio Summorum Pontificum. Cette thèse en droit canon, soutenue devant l'université ecclésiastique San Dámaso de Madrid, étudie l'évolution du cadre juridique de la célébration selon le missel de 1962 sous Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI, puis se penche sur la signification de « forme extraordinaire du rite romain » et, enfin, envisage l'unité du rite romain à la lueur de la pensée de Benoît XVI.

Dans cette partie de sa préface, le cardinal Cañizares répond efficacement à une série d'objections soulevées contre le Motu Proprio par ceux qui se prétendent les gardiens
« de l'esprit du Concile », et salue le nécessaire œcuménisme intra-catholique permis par le texte de Benoît XVI.

***

Ceux qui veulent voir, dans la distinction que fait le Motu Proprio entre cum et sine populo, une restriction à la forme extraordinaire, oublient qu'avec le missel de Paul VI aussi, l'autorisation du curé ou du recteur de l'église est nécessaire pour célébrer cum populo.

D'autre part, la possibilité, envisagée expressément dans le Motu Proprio – et  qui a provoqué plus d'une saillie de la part de ceux qui ont critiqué le document –, que la présence spontanée de fidèles à une messe sine populo soit admise, n'a fait que mettre un terme à la situation étrange qui voyait cette messe interdite à la participation des fidèles même quand elle était célébrée par un prêtre en situation canonique régulière, au seul motif de la forme liturgique utilisée et ce alors même que celle-ci était pleinement reconnue par l'Église. Il a ainsi été évité de rééditer la situation des années 70 quand des prêtres qui ne pouvaient apprendre le nouveau missel pour des raisons d'âge ou de santé, se voyaient condamnés à ne plus pouvoir célébrer l'Eucharistie pour la communauté, aussi réduite soit-elle. Une situation qui, avec la sensibilité actuelle, serait perçue comme discriminatoire. Enfin, limiter la pratique de la forme extraordinaire à la messe sine populo, contredirait les termes et les intentions de la constitution conciliaire : « Chaque fois que les rites [...] comportent une célébration communautaire avec fréquentation et participation active des fidèles, on soulignera que celle-ci, dans la mesure du possible, doit l’emporter sur leur célébration individuelle et quasi privée » (Sacrosanctum Concilium 27).

Il est hors de doute qu'au milieu du XXème siècle un approfondissement et une rénovation de la vie liturgique aient été nécessaires. Mais, par bien des aspects, cela n'a pas été une opération parfaitement réussie. Il a été opéré une « réforme », un changement des formes, mais pas une vraie rénovation comme le souhaitait Sacrosanctum Concilium. Parfois le changement a été réalisé avec un esprit superficiel, le critère ayant semblé être de s'éloigner à tout prix d'un passé perçu comme totalement négatif et dépassé ; comme s'il s'agissait de créer un abîme entre l'avant et l'après Concile, dans un contexte où le mot « préconciliaire » était utilisé comme une insulte. Cependant, le véritable esprit du document conciliaire n'était pas d'aborder la réforme comme une rupture avec la tradition mais, au contraire, comme une confirmation de la Tradition en sa signification la plus profonde.

Une preuve de cela nous est donnée par le grand liturgiste Josef Jungmann, l'un des inspirateurs de la réforme liturgique, commentant l'article 23 de la constitution conciliaire : « La réforme de la liturgie ne peut pas être une révolution. Elle doit tenter de saisir le sens réel et la structure fondamentale des rites transmis par la tradition et, en valorisant prudemment ce qui existe déjà, le développer ultérieurement de manière organique, allant à l'encontre des exigences pastorales d'une liturgie vivante. » Ces paroles lumineuses indiquent les idéaux qui « doivent servir de critère pour toute réforme liturgique » et dont Jungmann a dit : « Ce sont les mêmes que ceux qui ont animé tous ceux qui ont œuvré avec justesse pour le renouveau liturgique. » Certains de ces principes sont universels, nous dit la constitution conciliaire : « Parmi ces principes et ces normes, il en est un certain nombre qui peuvent et doivent être appliqués tout autant aux autres rites qu’au rite romain » (Sacrosanctum Concilium 3). De façon logique, la célébration de la forme extraordinaire du rite romain devrait, elle aussi, être éclairée par les dix premiers paragraphes de la constitution conciliaire, où sont exposés les  principes universels de la liturgie.

Ainsi, le Concile affirme que le Seigneur n'a pas seulement envoyé les apôtres « proclamer l'Évangile à toute créature et annoncer que le Fils de Dieu, par sa mort et sa résurrection, nous a délivrés du pouvoir de Satan ainsi que de la mort et nous a conduits au royaume du Père » mais aussi « afin qu'ils exercent cette œuvre de salut qu'ils annonçaient par le sacrifice et les sacrements autour desquels gravite toute la vie liturgique » (Sacrosanctum Concilium 6). Il enseigne aussi que la finalité de la célébration liturgique est la gloire de Dieu et le salut et la sanctification des hommes puisque dans la liturgie « Dieu est parfaitement glorifié et les hommes sanctifiés » (Sacrosanctum Concilium, 7). N'oublions pas, par ailleurs, que les vrais adorateurs de Dieu, les réformateurs profonds du monde, les témoins du monde futur qui ne passera pas, ce sont les saints qui sont sanctifiés en Lui.

Comme le rappelait l'alors cardinal Ratzinger (discours sur l'ecclésiologie de Lumen Gentium, 27 février 2000) : « Rétrospectivement, on doit dire que, dans l’architecture du Concile, cela a un sens précis : au commencement il y a l’adoration, et donc Dieu. Ce commencement répond à la parole de la règle bénédictine : ''Operi Dei nihil praeponatur'' (On ne préférera rien à l’œuvre de Dieu, règle de saint Benoît 43, 3). » L'Église, par nature, dérive de sa mission de glorifier Dieu et, pour cela, est irrévocablement liée à la liturgie, dont la substance est la révérence et l'adoration envers Dieu, présent et agissant dans l'Église et par l'Église. Une certaine crise qui a pu affecter de façon importante la liturgie et l'Église elle-même depuis les années succédant au Concile jusqu'à aujourd'hui, est due au fait que son centre n'est plus Dieu et Son adoration mais les hommes et leur capacité à « faire ».

« Certainement, ajoutait le Cardinal, dans l’histoire de l’après-Concile, la  Constitution sur la Liturgie ne fut plus comprise à partir de ce primat fondamental de l’adoration, mais plutôt comme un livre de recettes sur ce que nous pouvons faire avec la liturgie. […] Mais plus nous la faisons pour nous-mêmes, moins elle est attirante, et cela parce que tous ressentent clairement que l’essentiel est toujours davantage perdu. » Quand se produit ce que décrivait le cardinal Ratzinger, c'est-à-dire que c'est nous qui « faisons » la liturgie et que cela se généralise, alors les fidèles et les communautés se dessèchent, s'affaiblissent et déclinent.

Pour cela, il est absolument infondé de dire que les prescriptions de Summorum Pontificum constitueraient une « atteinte » au Concile : une pareille affirmation manifeste une grande ignorance du Concile lui-même, dès lors qu'offrir la possibilité de permettre à tous les fidèles de connaître et d'apprécier les nombreux trésors de la liturgie de l'Église est précisément ce que désirait ardemment cette grande assemblée : « Obéissant fidèlement à la Tradition, le saint Concile déclare que la sainte Mère l’Église considère comme égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus, et qu’elle veut, à l’avenir, les conserver et les favoriser de toutes manières » (Sacrosanctum Concilium 4).

De la même façon, nous observons que lorsque sont dénoncées des attitudes ou des positions de « refus du Concile », c'est toujours à sens unique, c'est-à-dire à propos de ceux qui n'acceptent pas l'état actuel de la liturgie alors que, la plupart du temps, les comportements et pratiques qui provoquent ce refus ne viennent pas du Concile en soi, pas plus qu'il ne s'agit de mises en œuvre de ses principes mais, au contraire, de comportements et de pratiques qui le trahissent en ce qu'ils sont diamétralement opposés à ce qu'exprima l'assemblée conciliaire. Personne ne parle, en revanche, ou alors avec bien moins de sévérité, de la désobéissance et du « refus », malheureusement si fréquents, opposés aux grands principes clairement exposés par le Concile. C'est pour cela que l'alors cardinal Ratzinger en arriva à dire que « l'obstacle majeur à l'acceptation pacifique du renouvellement de la structure liturgique réside dans le fait que la liturgie a été abandonnée à l'inventivité de chacun ». Ailleurs, il expliquait, parlant de la libéralisation de la célébration de la liturgie traditionnelle, qu'il « ne s'agit pas d'une attaque contre le Concile mais d'une mise en œuvre de celui-ci, encore plus fidèle, si j'ose dire, que celle que l'on nous présente habituellement ».

Un autre aspect sur lequel ce livre que nous introduisons attire notre attention et qu'il est important de ne pas perdre de vue, c'est l'impact négatif que nos discussions intra-ecclésiales peuvent avoir sur l'œcuménisme. Souvent, nul ne prête attention au fait que les critiques faites au rite hérité de la tradition romaine touchent aussi les autres traditions, en particulier celle orthodoxe : presque tous les aspects liturgiques fortement attaqués par ceux qui s'opposent à la conservation de l'ancien missel romain sont précisément ceux que nous avons en commun avec la tradition orientale ! Une preuve nous en est donnée par les réactions extrêmement positives arrivées du monde oriental lors de la publication du Motu Proprio. Ce document revêt ainsi une valeur cruciale pour la « crédibilité » de l'œcuménisme dès lors que, selon l'expression du président du Conseil pontifical pour l'unité des chrétiens, le cardinal Kurt Koch, « il promeut, en réalité, si l'on peut dire, un œcuménisme intra-catholique ». Nous pourrions dire, par conséquent, que la prémisse « ut unum sint » suppose le « ut unum maneant » de sorte que, comme l'écrit le Cardinal, « si l’œcuménisme intra-catholique échoue, la controverse catholique sur la liturgie s’étendra aussi à l’œcuménisme ».

Par son décret, Benoît XVI manifesta son amour paternel et sa compréhension envers ceux qui sont spécialement liés à la tradition liturgique romaine et qui couraient le risque de se retrouver de façon permanente à la marge de l'Église ; c'est à leur sujet qu'il rappela avec clarté que « nul n'est de trop dans l'Église », démontrant une sensibilité qui annonçait la préoccupation du pape François pour les « périphéries existentielles ». Tout ceci représente sans aucun doute un signe fort  pour nos frères séparés.

Le Motu Proprio a en outre donné lieu à un phénomène surprenant pour beaucoup et qui représente un vrai « signe des temps » : l'intérêt que la forme extraordinaire du rite romain suscite chez les jeunes qui ne la connurent jamais comme forme ordinaire. Cet intérêt manifeste une soif de « langages » qui sortent de l'ordinaire et qui nous entraînent vers de nouvelles frontières que de nombreux pasteurs n'avaient jamais envisagées. Ouvrir le trésor liturgique de l'Église à tous les fidèles a rendu possible la découverte des richesses de notre héritage à ceux qui les ignoraient, cette forme liturgique suscitant de nombreuses vocations sacerdotales et religieuses à travers le monde, prêtes à donner leur vie au service de l'évangélisation. Cela s'est reflété de façon concrète lors du pèlerinage organisé à Rome en novembre 2012, en action de grâce pour les cinq ans du Motu Proprio, qui a rassemblé sous le vocable suggestif « Una cum Papa nostro » des pèlerins du monde entier. Par son envergure mais surtout par l'esprit qui animait les participants, ce pèlerinage a été la confirmation palpable de la justesse de cette législation, fruit de plusieurs décennies de maturation.

L'impression la plus forte qui demeure après la lecture de ce travail est que le cadre juridique créé par le Motu Proprio, qui se fonde sur des principes théologiques et liturgiques permanents, n'est pas seulement une réponse à un problème limité dans le temps mais la création d'une situation juridique solide et bien définie qui libère l'argument des fluctuations de l'opinion comme des décisions arbitraires. De cette façon, alors que pour les uns comme les autres le problème et le débat ont tourné pendant des années à un jugement sur ce qui, en définitive, appartient à l'histoire, Benoît XVI, au-delà de la discussion théorique, a voulu mettre en évidence la nécessité de cohérence théologique et, surtout, parvenir à un important résultat pastoral.

Nous souhaitons que ce livre puisse participer d'une meilleure connaissance et apporter ainsi des éléments pour une correcte application de la sage contribution de Benoît XVI à la réconciliation liturgique au sein de l'Église.

[…]

Antonio Cañizares Llovera
Cardinal Préfet de la Congrégation pour le Culte divin
et la Discipline des Sacrements
Rome, 25 juillet 2013
En la fête de saint Jacques le Majeur, patron de l'Espagne



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