Notre lettre 461 publiée le 14 octobre 2014
À DUNKERQUE AUSSI LA MESSE EN LATIN “A SES ADEPTES”, CONSTATE LA VOIX DU NORD
Depuis 2008, une poignée de fidèles de Flandre maritime essaie avec patience et persévérance d’obtenir l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum dans l’agglomération dunkerquoise. Après quelques messes en 2008 puis une expérience à Bray-Dunes en 2010-2011, une messe mensuelle est célébrée, depuis l’Avent 2013, en l’église Saint-Martin de Dunkerque. En cette rentrée 2014, le quotidien local, La Voix du Nord, a choisi de s’y intéresser, sans préjugés mais aussi sans grandes connaissances en la matière. Nous consacrons nos réflexions de cette semaine à cet article qu’illustre une belle photo du célébrant, le chanoine Marchadier (ICRSP), entouré des enfants de chœur.
I – L’ARTICLE DE LA VOIX DU NORD
Article du 9 septembre 2014, signé Jean-Philippe Delattre et intitulé “Dunkerque : la messe en latin, un dimanche par mois à l’église Saint-Martin, a ses adeptes”
(source)
Depuis novembre 2013, l’église Saint-Martin accueille chaque premier dimanche du mois une messe en latin. Fidèle à la tradition chrétienne d’avant Vatican II (porté par le pape Jean-Paul II dans les années 1960), il ne s’agit pas seulement d’une différence de langage.
En effet, c’est tout un cérémonial qui accompagne les paroles dites en latin, très différent des messes actuelles. « Il s’agit plus d’assister à une messe que d’y participer », résume l’organiste qui a joué ce dimanche. En effet, le prêtre, en tenue traditionnelle, est quasiment tout le temps le dos tourné à l’auditoire. Et mis à part les chants, la plupart des paroles qu’il prononce (les mêmes qu’ont prononcées les prêtres de toutes les messes pendant des siècles), il les dit presque à voix basse. Inaudible pour l’assistance. Certains passages de l’Évangile sont, en revanche, cités en français, face à la foule qui, ce dimanche, n’était pas très nombreuse mais captivée.
D’un point de vue extérieur, on peut s’interroger sur l’intérêt de suivre une cérémonie célébrée dans une langue quasiment morte et dont on n’entend presque pas les paroles. Pour Pascal, Dunkerquois, c’est « parce qu’on a détruit des choses dans l’Église, à force de simplifier. On a perdu le sacré. La messe en latin n’est pas du tout quelque chose de moyenâgeux. Beaucoup de gens n’ont pas oublié les messes de leur enfance ». Quant à la barrière de la langue : « Je n’ai jamais fait de latin mais les textes sont souvent traduits. Et puis, le latin est une langue dans laquelle transparaissent des émotions que le français ne traduit pas. » Près de lui, le jeune Vincent, 23 ans, est tout aussi enthousiaste : « C’est beaucoup plus beau. C’est universel et profond. Pour les chants, c’est mieux, on a la sensation de retrouver le sacré. » Jérôme Lefebvre, coordinateur de la messe traditionnelle, explique qu’il existe « une réelle demande de retour à la tradition. Le latin est la langue internationale de l’Église. C’est la langue qui unit les gens. C’est Benoît XVI qui a libéralisé ce retour à la messe antique ».
Messe en latin, église Saint-Martin, rue de Paris, chaque premier dimanche du mois à 17 h.
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Il arrive de temps en temps – au Mexique, comme nous l’avons évoqué dans notre lettre 454, en Italie (notre lettre 455 où Rino Cammilleri, journaliste, témoigne de sa propre expérience), mais aussi en France – que la presse donne un coup de projecteur sur la liturgie catholique. Tout le monde sait que le sujet plaît beaucoup au public : une tribune libre dans un grand journal qui, d’une façon ou d’une autre, évoque la splendeur de la liturgie ancienne, est toujours très lue (même Le Monde, le 25 janvier 2009, s’intéressait à « La langue liturgique » de l'Église, patrimoine auquel elle aurait tort de renoncer). L’angle est quasiment toujours le même : la « persistance » ou le « renouveau » de ce que les journalistes appellent, par souci de vulgarisation : « la messe en latin ». En soi, cet intérêt médiatique, même sporadique, est la preuve que la recherche du « Ciel sur la terre », que représente la liturgie, continue d’intriguer nos contemporains. Pourtant, on ne peut que regretter la faible culture en la matière de la plupart des rédacteurs de ces articles, fruit de la déchristianisation galopante et de la vacatio catechismi si bien diagnostiquée et dénoncée par Jean Madiran (voir notre lettre 416).
2) L’application balbutiante de Summorum Pontificum à Dunkerque est, hélas !, à l’image de ce qui se passe dans de nombreuses villes de France comme ailleurs. Quelques fidèles résolus, un clergé local plutôt réticent voire hostile, désintéressé ou timoré, un institut Ecclesia Dei (l’Institut du Christ-Roi Souverain prêtre en l’occurrence) prompt à servir mais sans grande marge de manœuvre et un évêque dont la volonté est, disons-le élégamment, difficile à déchiffrer. Alors que le pape François ne fait qu’inviter nos pasteurs à sortir et à embrasser les périphéries, certains d’entre eux continuent de refuser d’ouvrir leurs portes à des fidèles qui ne demandent que de voir reconnu le droit universel et légitime, qui est le leur, de bénéficier de la liturgie millénaire de l’Église.
3) Il nous semble douteux que l’organiste ait dit textuellement : « Il s’agit plus d’assister à une messe que d’y participer ». Car qui, mieux qu’un organiste, peut témoigner du fait que le chant sacré qu’il accompagne avec son instrument est un mode éminent de participation durant la Sainte Messe ? Les fariboles postconciliaires sur la meilleure participation active – l’actuosa participatio – qui découlerait du nouveau rite ont été démontées par de nombreux auteurs, à commencer par le cardinal Ratzinger, notamment dans L’Entretien sur la foi (Fayard, 1986) : « Il en est ressorti qu'on n'avait une participation active que s'il y avait activité extérieure tangible : discours, paroles, chants, homélies, lectures, poignées de mains... Mais on a oublié que le Concile place aussi dans l'actuosa participatio le silence, qui favorise une participation vraiment profonde, personnelle, nous permettant d'écouter intérieurement la parole du Seigneur. Or, de ce silence, il n'y a plus trace dans certains rites. » (p. 151)
4) Ce silence actif, celui de l'écoute attentive, est bien entendu l'un des éléments forts de la liturgie traditionnelle. Mais pas seulement car, comme le soulignait récemment le Père Abbé de Fontgombault, en parlant des prêtres, dans un entretien à La Nef, la forme extraordinaire du rite romain favorise « la participation du corps, sollicité par tant de gestes : génuflexions, inclinations, signes de Croix ». Ce qui est vrai pour le prêtre l’est aussi pour le fidèle, porté à une participation profonde par son corps, sa voix, ses mouvements. Tous les fidèles découvrant la liturgie traditionnelle ressentent d’ailleurs, dès leurs premières messes, combien leur attention se doit d'être vigilante, en même temps qu’ils prennent conscience d'être entrés dans un autre monde. Pour citer encore dom Pateau : « Le corps dans la forme extraordinaire s’associe de manière particulièrement intense à l’esprit et à l’âme en incarnant la parole, en manifestant l’humilité de celui qui prie face au mystère du Dieu présent. »