Notre lettre 478 publiée le 24 février 2015

LA BELLE HISTOIRE DU RETOUR DE LA MESSE TRADITIONNELLE À SINGAPOUR : LES SIGNES DES TEMPS

Le numéro 12 du magazine de langue anglaise Regina est consacré à des portraits de paroisses vouées à la forme extraordinaire de la messe.

Parmi ceux-ci, celui sur la naissance de la communauté Summorum Pontificum de Singapour a retenu notre attention. On va voir pourquoi.





I – UNE RENAISSANCE ÉTONNANTE
L’essentiel de l’article de Regina Magazine


« Le long et tortueux chemin vers Saint-Joseph »
par Estella Young, Regina Magazine n° 12, février 2015


Le catholicisme est arrivé à Singapour en 1832 avec des prêtres des Missions étrangères de Paris (MEP). Ils y construisirent des églises et firent venir des religieux pour ouvrir des écoles, des orphelinats et un séminaire. Aujourd’hui, certaines des écoles catholiques figurent parmi les meilleures du pays et sont renommées pour offrir une excellente formation scolaire en même temps qu’une solide formation morale et éthique. En 2012, on décomptait 303 000 catholiques à Singapour (5,7% de la population), pour 31 églises et environ 140 prêtres, dont quatre célèbrent la forme extraordinaire de la messe.

L’histoire de la messe traditionnelle à Singapour est l’histoire du grain de moutarde. Ce grain a été arrosé non pas par des occidentaux expatriés ou des prêtres étrangers mais par les prières patientes et le soutien matériel d’un tout petit groupe de laïcs, demeurés fidèles même quand le sol semblait terriblement pierreux.

Jusqu’en 2005, la liturgie traditionnelle était peu connue à Singapour. Les archevêques ne l’avaient pas autorisée pendant des décennies. Les plus anciens gardaient le souvenir de deux messes célébrées par les supérieurs de la Fraternité Saint-Pierre (FSSP) au cours de visites faites à un candidat séminariste potentiel, Duncan Wong, enseignant dans une école catholique de la ville. L’archevêché ayant interdit toute publicité, l’assistance y était réduite.

En août 2005, l’abbé Duncan Wong, devenu prêtre pour la FSSP et nommé à Sydney, s’arrête à Singapour pour rendre visite à ses nombreux amis et soutiens et l’archevêque, Mgr Chia, l’autorise à célébrer deux messes dans une église paroissiale. Pour chanter le propre et l’ordinaire de ces messes, la commission archidiocésaine de musique liturgique lance alors un appel aux volontaires. La nouvelle connue, des centaines de personnes assistent aux deux messes : jeunes et vieux, laïcs et religieux. Pour la plupart des jeunes, c’est leur premier contact avec la liturgie traditionnelle.

Cinq de ces jeunes décident alors de prolonger cet événement en fondant la première chorale grégorienne masculine de Singapour, le 26 décembre 2005 : la Schola Cantorum Sancti Gregorii Magni . Plusieurs douzaines de jeunes catholiques vont bien vite se retrouver autour des vêpres et complies chantées dans la forme ordinaire un dimanche par mois dans une paroisse du centre-ville et suivies d’un moment de convivialité dans un café voisin.

En 2006 et 2007, en plus des vêpres mensuelles, la Schola et une équipe de servants de messe, dont un ancien séminariste de la FSSP, organisent plusieurs messes chantées, novus ordo, en latin. Le directeur de la Schola, Francis Nyan, qui a étudié le grégorien à Solesmes, est invité par l’archidiocèse à diriger deux leçons d’introduction au chant grégorien.

Mais les fidèles ont de plus grands espoirs. Certains prennent contact avec différents prêtres jusqu’à ce que l’un d’entre eux, l’abbé Augustine Tay, vicaire à Notre-Dame-du Perpétuel-Secours, indique être disposé à accueillir la communauté dans sa paroisse. Début 2008, les vêpres mensuelles deviennent une messe mensuelle, novus ordo, célébrée par l’abbé Tay. L’abbé Tay en profite pour apprendre la forme extraordinaire avec l’aide de l’ancien séminariste de la FSSP et commence à célébrer la messe basse en semaine.

Pour le groupe de fidèles, cette messe mensuelle a des allures de mobilisation générale. Si la plupart des jeunes gens rejoignent la Schola ou l’équipe des servants de messe, trois sœurs issues d’une famille tradi de 10 enfants cousent les ornements et le linge d’autel avec soin et amour. Les autres se financent pour réaliser ou acquérir le mobilier liturgique et les objets du culte.

Au bout d’un an, l’abbé Tay se voit confier l’aumônerie d’une maison de retraite. Au lieu de la messe novus ordo mensuelle, il y célèbre, dans la petite chapelle de l’établissement, la forme extraordinaire, le dimanche et les jours de fête. Un petit nombre mais toujours croissant de fidèles l’y retrouve.

Finalement, le directeur d’une école privée catholique, offre à la communauté la possibilité d’utiliser la chapelle de l’école un dimanche sur deux. De 2009 à 2013, la messe y est offerte, tout d’abord dans la forme ordinaire puis, à partir de 2011, exclusivement dans la forme extraordinaire.

En ce nouveau lieu, le groupe s’épanouit. Des baptêmes et des mariages y sont célébrés. L’intérêt pour la messe traditionnelle est stimulé quand le principal journal de langue anglaise e Singapour publie en 2012 un reportage à la communauté lors d’un numéro spécial de Pâques consacré aux groupes chrétiens originaux. Quelques mois plus tard, la Schola est invitée à chanter dans la principale salle de concerts de l’île pour un festival de musique sacrée et est réinvitée en 2013.

Cependant, ce n’est qu’avec l’arrivée d’un nouvel archevêque en mai 2013 que la communauté finit par avoir plein droit de cité. Mgr William Goh considère en effet prioritaire de tendre la main à tous les groupes de l’archidiocèse qui s’attachent à nourrir la spiritualité des fidèles. Non seulement, en septembre 2013, il assiste au chœur à la célébration de la forme extraordinaire, une première dans l’archidiocèse [créé après la réforme liturgique, NdT], mais établit aussi, en octobre 2013, la communauté en l’église Saint-Joseph, l’une des plus anciennes et des plus belles églises de Singapour. Il décrète pour l’occasion que la messe y sera hebdomadaire et non plus bimensuelle et lui assigne l’abbé Tay pour célébrant.

Aujourd’hui quatre prêtres offrent la messe dominicale à Saint-Joseph. L’assistance y est de 200 personnes et cette dynamique communauté bénéficie du catéchisme, d’un cours de latin et plusieurs de ses jeunes membres expérimentent l’appel de la vie religieuse, sur l’île mais aussi à l’étranger.

[…]

L’église Saint-Joseph accueille un mélange éclectique de fidèles. Aux messes ordinaires en anglais, s’ajoutent des messes dominicales en français, vietnamien et tagalog. Le curé, l’abbé Yeo, s’y est montré très accueillant pour la forme extraordinaire. Il ne la célèbre pas mais reçoit les confessions avant la messe et assiste pour la distribution de la communion.


L'abbé Tay, célébrant en l'église Saint-Joseph de Singapour.


II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) « Dans l’Église d’aujourd’hui on parle beaucoup de créer des communautés et de s’engager activement dans la nouvelle évangélisation. Nous avons réussi à faire l’un et l’autre tout simplement en nous retrouvant autour d’un objectif commun : prier et adorer le Seigneur. Concentrés sur le Christ, nous avons irradié le Christ aux autres et à tout le diocèse dans son ensemble. » Ce témoignage d’un jeune fidèle de Singapour (20 ans), rapporté par le magazine américain, est la synthèse parfaite de ce que l’on pourrait appeler l’effet Summorum Pontificum : la force de la liturgie traditionnelle tient au fait qu’elle est toute centrée sur la valorisation de la présence réelle du Christ lors de la consécration et le rappel solennel du mystère de son sacrifice renouvelé de manière non sanglante. Voilà ce qui attire la jeunesse et refait la jeunesse de l’Église. À Singapour comme ailleurs.

2) Lors de la messe à laquelle il a assisté en septembre 2013, Mgr Goh a prononcé l’homélie et expliqué le sens du motu proprio de Benoît XVI. En particulier, il a rappelé que « l’unité dans la diversité caractérise » la liturgie de l’Église et que les préférences liturgiques ne devraient jamais être un motif de division ou de discorde entre catholiques. Selon lui, la vraie mesure de la prière est de savoir si elle nous porte ou non à un plus grand amour de Dieu et de notre prochain. Il a en outre souligné que la forme extraordinaire mérite le plus grand respect pour avoir nourri les saints de l’Église pendant des siècles et, surtout, qu’elle préserve un sens du mystère sacré qui attire les fidèles.

3) Depuis 1999, Singapour est le siège du district d’Asie de la Fraternité saint Pie X. Deux messes dominicales réunissant plus d'une centaine de fidèles et la messe quotidienne sont célébrées en son prieuré. Il est intéressant de noter une fois encore combien l’offre diocésaine de la messe traditionnelle n’assèche pas les communautés de la FSSPX mais au contraire fait apparaître de nouveaux fidèles. L’inverse aussi est vrai si l’on pense à l’exemple de Rambouillet où plus de 200 fidèles n’ont droit à l’application de Summorum Pontificum qu’une fois par mois en l’église Saint-Lubin et où la FSSPX s’est installée depuis 2011 (précisément aux Essarts-le-Roi) en rassemblant rapidement une centaine de fidèles. En vérité, la multiplication des lieux de culte traditionnels augmente de manière conséquente, même si non linéaire, le nombre des fidèles. En outre, comme notre campagne de sondages l’avait démontré et comme le confirme le cas de Singapour, l’existence de catholiques silencieux désireux de bénéficier du trésor que représente la liturgie traditionnelle se vérifie également à travers le monde entier.

4) Le cas de Singapour montre aussi, et c'est une constante, que parmi les fidèles potentiels, les jeunes répondent souvent positivement dès lors qu’il leur est donné de connaître la liturgie traditionnelle. C’est ce que soulignait le cardinal Cañizares, alors préfet de la Congrégation pour le Culte divin, dans la préface (voir notre lettre 448) qu’il a donnée à la thèse publiée d'un bénédictin espagnol sur les principes d'interprétation du Motu Proprio Summorum Pontificum (*) : « Le Motu Proprio a en outre donné lieu à un phénomène surprenant pour beaucoup et qui représente un vrai "signe des temps" : l'intérêt que la forme extraordinaire du rite romain suscite chez les jeunes qui ne la connurent jamais comme forme ordinaire. Cet intérêt manifeste une soif de "langages" qui sortent de l'ordinaire et qui nous entraînent vers de nouvelles frontières que de nombreux pasteurs n'avaient jamais envisagées. Ouvrir le trésor liturgique de l'Église à tous les fidèles a rendu possible la découverte des richesses de notre héritage à ceux qui les ignoraient, cette forme liturgique suscitant de nombreuses vocations sacerdotales et religieuses à travers le monde, prêtes à donner leur vie au service de l'évangélisation. » Cette « soif » de forme extraordinaire que nous découvrons à Singapour, nous l'avions aussi effleurée à Hong-Kong dans notre entretien avec le cardinal Zen (voir notre lettre 468). Elle explique pourquoi les jeunes fidèles de Singapour passent outre l'horaire peu familial de leur messe : 15 heures ! Comme nous l'a confié l'un d'entre eux : « Oui, l'horaire n'est pas favorable mais cela crée entre nous des liens forts, un esprit de communauté dans la communauté qui est unique. »

(*) Los Principios de interpretación del motu proprio Summorum Pontificum, par le Père Alberto Soria Jiménez, Éditions Cristiandad, Madrid, 2014.


L'église Saint-Joseph où se célèbre la messe chaque dimanche depuis octobre 2013.

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