Notre lettre 494 publiée le 2 juin 2015

LA MESSE TRADITIONNELLE DANS TOUS SES ÉTATS (troisième partie)

LA GRAND-MESSE

Nous continuons à parcourir la riche diversité des degrés de solennité de la messe romaine en forme extraordinaire. Nous avons parlé dans notre lettre 491 de la messe solennelle de l’évêque, la messe pontificale. Nous parlerons dans celle-ci de ce qu’on a l’habitude d’appeler la grand-messe.

Elle peut être :

- une messe chantée, où l’on interprète l’ordinaire (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei), et le propre (l’Introït, les chants qui suivent l’épître, Graduel, Alleluia ou Trait, le chant d’offertoire et le chant de communion). On y chante éventuellement l’épître. Le prêtre chante en outre toujours l’évangile, les oraisons, la Préface et lePater) ;
- quand le prêtre est assisté d’un diacre et d’un sous-diacre, cette messe est dite solennelle ;
- mais, lorsqu’on ne peut avoir de diacre et de sous-diacre, et pour donner à la grand-messe une certaine solennité, l’usage a instauré une « messe avec encensements », qui est en somme une forme intermédiaire entre la messe chantée et la messe solennelle.



Depuis le fond des âges, la grand-messe dominicale, en fin de matinée, a été l’événement majeur de la vie de toutes les paroisses de la chrétienté, avec puissantes sonneries de cloches, grandes orgues, chants latins et cantiques populaires. L’après-midi, le chant des vêpres, suivi d’un salut du Saint-Sacrement, réunissait une moindre assistance, mais y faisait écho et restait tout de même une imposante cérémonie. Jusque dans les années soixante, la grand-messe dominicale, avec son assistance qui remplissait la nef, donnait encore quelque impression d’une unanimité de chrétienté.

Dans les paroisses ordinaires aujourd’hui, avec une assistance bien plus réduite que celles de jadis, la principale messe dominicale reste une messe plus festive. Mais les communautés traditionnelles ont, quant à elles, largement conservé ce caractère privilégié à la grand-messe, où tout un peuple chrétien accomplit avec le plus d’éclat possible, pour la gloire de Dieu et le témoignage auprès des hommes, son devoir dominical dans les chants et les cantiques.

Il est un fait historique très curieux, peu souvent évoqué, mais qui montre à quel point le peuple paroissial, spécialement dans les campagnes de France, tenait viscéralement au chant de la messe et des vêpres du dimanche, qui le rassemblait tout entier ou presque dans son église. Durant la Révolution, alors qu’on ne célébrait plus aucun culte en bien des églises, dans un certain nombre de paroisses les fidèles continuaient à se réunir dans l’église à l’heure de la grand-messe autour des chantres laïcs, qui revêtaient leurs chapes traditionnelles : et tous chantaient à pleine gorge ce qu’il leur était permis de chanter – Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus – dans une espèce d’ADAP (assemblée dominicale en absence de prêtre) forcée (1). Un degré plus bas encore, non moins significatif de l’inscription sociale de la grand-messe dans l’âme des sociétés villageoises, est décrit par Georges Bernanos dans la Nouvelle histoire de Mouchette : « L’heure qui précède la grand-messe est, comme jadis, une heure de recueillement. Il faut des siècles pour changer le rythme de la vie dans un village français. "Les gens se préparent", dit-on, pour expliquer la solitude de la grande rue, son silence. Se préparer à quoi ? Car personne ne va plus à la grand-messe. [...] Le père n’en passe pas moins sa chemise au plastron raide, [la mère] a posé sur le lit sa jupe de laine noire à grands plis » (2).

La messe chantée

La particularité essentielle de la messe chantée, celle des dimanches et des fêtes, mais qui était aussi la messe quotidienne dans les chapitres et les abbayes, est bien sûr le chant, mais le chant proprement ecclésiastique, celui du propre et de l’ordinaire, comme on l’a dit plus haut. Les cantiques populaires et les motets artistiques ornent également, et de manière très heureuse, la célébration de ces messes ou d’autres messes du dimanche ou de semaine, mais seule l’interprétation du propre (l’Introït, le Graduel, l’Alleluia, les antiennes d’offertoire et de communion), ou à tout le moins lorsqu’on n’a pas la capacité de faire mieux, l’interprétation du commun (le Kyrie, le Gloria, le Credo, le Sanctus et l’Agnus Dei), fait qu’une messe peut être qualifiée de chantée.

Nous renvoyons pour l’histoire de ce chant d’église en latin aux nombreuses et savantes études qui lui ont été consacrées, notamment depuis qu’il a été menacé de disparition par la réforme de la fin des années soixante : par exemple, les études de nos amis de l’association Una Voce. Il est dit cantus planus, plain chant, chant monodique (non polyphonique), que toutes les voix interprètent à l’unisson. On l’appelle aujourd’hui plus volontiers chant grégorien, du fait que la paternité légendaire en est attribuée à saint Grégoire le Grand.

Interprété pour partie (notamment les pièces du propre de la messe) par une schola cantorum cléricale et/ou par les chantres, pour partie par le peuple fidèle (notamment pour les chants du commun), il est, depuis le siècle dernier, chanté dans les paroisses par une chorale (on parle de maîtrise, lorsqu’elle est plus spécialisée voire professionnelle) et par les fidèles.

En France, jusqu’au XXème siècle, dans chaque paroisse, les personnages-clés de la messe chantée étaient les chantres laïcs, revêtus d’un long surplis, debout devant un grand lutrin qu’on retrouve encore dans beaucoup d’églises, qui était alors posé au centre du chœur. Leur interprétation du répertoire sacré sur un registre plus bas et sur un mode plus rythmé (dont on retrouve l’écho dans la manière dont les foules interprètent encore la populaire Messe des Anges, ou jadis la Messe royale de Dumont), a été remplacée par l’interprétation très épurée de Solesmes de Dom Pothier et Dom Mocquereau, laquelle s’est imposée dans les séminaires et les paroisses. Malgré de forts intéressants débats musicaux (voir Dominique Vellard, Marcel Pérès, etc.) et des restitutions en certains lieux de l’interprétation d’avant celle de Solesmes, ce qui introduit une saine diversité, c’est l’interprétation de Solesmes qui reste la vulgate dans les paroisses et les séminaires où l’on chante la messe en latin.

La grand-messe dominicale a aussi quelques particularités rituelles. Jadis, alors que la liturgie était bien plus processionnante qu’elle n’est aujourd’hui où l’espace public se veut « laïque », elle était précédée (ou suivie) d’une procession vers un calvaire ou une statue de la Sainte Vierge. Et, rite qui est assez souvent encore maintenu, elle est immédiatement précédée d’une aspersion d’eau bénite. C’est pour les assistants une manière plus solennelle d’être purifiés de leurs péchés véniels et de repousser les intrusions démoniaques par le sacramental de l’eau bénite (ce qu’ils font en tout temps lorsqu’ils pénètrent dans l’édifice sacré en prenant de l’eau au bénitier). De la sorte, le dimanche – Dies Domini,Pâques hebdomadaire – chaque fidèle se souvient de son baptême, sacrement pascal par excellence, conféré préférentiellement dans l’Antiquité le jour de Pâques.

Évoquera-t-on la coutume très française de faire veiller au bon ordre durant les cérémonies par un Suisse – à moins que la paroisse ne possédât un bedeau, une sorte d’huissier – qui, jusqu’à la dernière guerre (et encore après en certains lieux, comme dans les églises parisiennes), avec son bicorne et sa culotte à la française, arpentait les allées de l’édifice, précédait les processions, et frappait le sol de sa hallebarde pour indiquer le moment de s’agenouiller ? Depuis bien longtemps, par défaut d’un nombre suffisant de clercs, le sacristain, les servants de messe étaient – et à fortiori sont de nos jours – des laïcs revêtant l’habit clérical (la soutane et le surplis ou bien l’aube à cordon).

La messe solennelle

À toutes ces caractéristiques, la messe solennelle ajoute un déploiement plus majestueux de ministres. Elle est, en somme, un substitut de la messe de l’évêque diocésain. Dans l’Antiquité, en effet, le clergé et les fidèles de Rome et de chaque ville épiscopale se rassemblait autour de l’évêque tous les dimanches et fêtes. Cependant, dans les campagnes, mais aussi dans la ville épiscopale elle-même, les nécessités pastorales conduisirent à la célébration d’autres messes, simplement presbytérales, où le prêtre tenait la place du pasteur du diocèse pour accomplir le Saint Sacrifice et instruisait le peuple en son nom par la prédication. La messe solennelle, dans laquelle le prêtre apparaît au sein d’une certaine majesté, rappelle ainsi plus fortement qu’il est le collaborateur de l’évêque, son lieutenant.

Le prêtre en chasuble est donc entouré de deux ministres sacrés, le diacre, en dalmatique, et le sous-diacre, en tunique (3). L’un et l’autre assistent le célébrant (encensements, préparation des oblats, transmission de la paix au chœur, etc.), se tenant à sa droite et à sa gauche, ou bien marchant devant lui, proclamant, pour le diacre, le renvoi du clergé et du peuple (l’Ite missa est). Le rôle le plus marquant du diacre (qui a aussi le pouvoir de prêcher et de donner la communion) est de chanter solennellement l’évangile. Le chant de l’épître est réservé au sous-diacre. Ces deux offices signalent le symbolisme que les commentaires mystiques attribuent aux trois ministres sacrés depuis le haut moyen âge. Chacun des trois, à son degré dans le sacerdoce, représentent le Christ-Prêtre. Le sous-diacre représente le Christ tel qu’annoncé dans l’Ancien Testament par la voix des prophètes et dans les figures des patriarches : c’est pourquoi, lors de la messe, il prépare à l’audition de l’évangile. Le diacre représente le Christ de l’Évangile, annoncé au monde par la prédication des apôtres : c’est pourquoi, lors de la messe, il proclame le message de la bonne nouvelle, dont le livre est soutenu par le représentant symbolique de l’Ancien Testament, le sous-diacre. Enfin le prêtre célébrant représente le Christ dans sa plénitude, renouvelant sur la terre le sacrifice de la Croix par le sacrifice non sanglant de l’autel, Christ déjà dans le ciel où il présente le sacrifice de l’autel à son Père, comme l’Ange du Grand Conseil, représenté par un prêtre « tout céleste », comme aimaient à dire les auteurs de l’École française de spiritualité.

Outre les ministres sacrés, cette messe suppose la présence de ministres inférieurs, qui peuvent être des laïcs si l’on ne dispose pas de clercs : deux acolytes portant leurs chandeliers à l’entrée et à la sortie du célébrant et durant le chant de l’évangile, présentant les burettes à l’offertoire et sonnant les clochettes ; un thuriféraire, chargé de l’encensoir rempli des charbons embrasés et de la navette pleine d’encens ; deux, quatre ou six céroféraires qui apportent des torches qu’ils tiennent à la main, agenouillés sur le pavé du sanctuaire, de la consécration à la communion pour rendre honneur au Saint-Sacrement ; un cérémoniaire enfin, pour guider les uns et les autres.

Cette messe solennelle était jadis, de fait, célébrée les dimanches et les fêtes dans les séminaires et dans les grandes églises disposant d’un clergé nombreux, essentiellement dans les cathédrales ou trois chanoines du chapitre assuraient les fonctions de ministres sacrés. Aujourd’hui elle est la messe des dimanches et grandes fêtes dans les séminaires où se célèbre la messe traditionnelle, et ailleurs, lorsqu’on peut marquer ainsi une occasion importante (par exemple, pour la première messe d’un jeune prêtre, les funérailles d’une personnalité, etc.)

La messe avec encensements

Dans le but de donner du lustre aux messes dominicales ou festives en des lieux où il n’était pas possible d’avoir des ministres sacrés, la coutume avait établi une messe intermédiaire entre la messe chantée et la messe solennelle, dont les usages variaient quelque peu selon les endroits, messe qui est restée, dans la forme traditionnelle, d’un usage fréquent (4).

C’est en fait une messe chantée du type décrit plus haut, mais qui suppose en outre la présence de deux acolytes portant des chandeliers, lesquels remplissent ensuite les fonctions des deux servants de messe classiques en se tenant généralement sur la première marche de l’autel. On peut aussi utiliser les services d’un thuriféraire (dont la présence était jadis subordonnée à l’accord d’un indult donné au diocèse). Des céroféraires peuvent tenir les torches de l’élévation. Un cérémoniaire est utile au bon déroulement de l’office. Et même, de manière parfaitement régulière, un clerc (ou, à défaut, un laïc revêtu d’habits cléricaux) peut chanter l’épître, si le célébrant ne le fait pas lui-même.

***

Saint Justin écrivait, à Rome, vers le milieu du IIème siècle, dans sa Première Apologie, que les chrétiens se réunissaient pour célébrer gravement et solennellement l’eucharistie, « le jour du soleil, parce que c’est le premier jour, où Dieu, tirant la matière des ténèbres, créa le monde, et que, ce même jour, Jésus-Christ notre Sauveur ressuscita des morts », autrement dit le dimanche. Cette fête hebdomadaire très sainte du peuple chrétien a traversé les âges. Elle a conservé tout son éclat dans la célébration traditionnelle.

On peut certes regretter que, depuis la fin des années cinquante, le pendant de la messe du matin, le chant des vêpres du dimanche après-midi, ait largement disparu. Cela s'est fait, paradoxalement, à l’époque où le Mouvement liturgique insistait justement sur l’importance de la participation des fidèles à l’Office divin. En de trop rares endroits, de courageux pasteurs font en sorte aujourd’hui de les reproposer. En revanche, la messe chantée est aujourd’hui célébrées dans la plupart des lieux bénéficiant d’une messe dominicale selon la forme extraordinaire, ce qui veut dire, en France, dans près de 400 lieux de culte traditionnel. Les fidèles s'y réunissent ainsi dans des églises qui redeviennent chaque dimanche, selon l’expression consacrée pour décrire la participation liturgique unanime des terres de chrétienté, des « nefs qui chantent »




Notes

1. Voir : Xavier Bisaro, Chanter toujours. Plain-chant et religion villageoise dans la France moderne (XVIe- XIXesiècle), Presses universitaires de Rennes, 2010.
2. Georges Bernanos, Œuvres romanesques, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, pp. 1326-1327.
3. Dalmatique et tunique sont de fait absolument identiques pour l’esthétique dans la symétrie, sauf parfois détails infimes qui les différencient. Le diacre porte, en outre, l’étole et le manipule, le sous-diacre, le manipule. L’un et l’autre doivent avoir reçu ces ordres, qui constituent des degrés du sacerdoce, par l’ordination (ou être d’un ordre supérieur, l’office du diacre étant par exemple rempli par un prêtre). Une coutume ancienne – ou une simple tolérance – autorise les clercs tonsurés et même les laïcs « de bonnes mœurs » à tenir la place du sous-diacre, en cas de besoin, sauf à ne pas remplir certaines fonctions (mettre l’eau dans le calice), ni porter le manipule.
4. Dans certaines paroisses de France, on allait jusqu’à vêtir deux enfants de chœur, l’un d’une dalmatique, l’autre d’une tunique, qui se tenaient constamment à droite et à gauche du prêtre sans exercer d’autre office que celui dit de « pot de fleur ». Cet abus montre bien quel était la visée de ce type de grand-messe : remplacer la messe solennelle dans les paroisses pauvres en clergé.

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