Notre lettre 532 publiée le 2 mars 2016

Entretien avec Felipe Alanís Suárez, nouveau président d’Una Voce international

À l’occasion du voyage du pape François au Mexique nous nous sommes entretenus avec Felipe Alanis Suárez, fondateur d’Una Voce Mexique et, depuis octobre 2015, premier président non-européen de la Fédération internationale Una Voce (FIUV). Après avoir survolé dans notre lettre 530 la situation liturgique mexicaine, nous abordons cette semaine-ci les orientations actuelles et à venir de la FIUV.


Messe organisée par Una Voce Cuba.


I – Notre entretien avec le nouveau président d’Una Voce

1- Felipe, vous êtes dorénavant le président de la Fédération internationale Una Voce, la plus ancienne et plus importante initiative en faveur de la sauvegarde de la liturgie grégorienne : quelle sera la ligne directrice de votre action au cours de votre mandat qui court jusqu’en 2017, année du dixième anniversaire de Summorum Pontificum ?

Felipe Alanis Suárez : Tout d’abord, j’aspire à poursuivre le travail de mes prédécesseurs. Le Bon Dieu a permis à la FIUV d’avoir à sa tête des personnalités remarquables comme le docteur Éric de Saventhem, notre premier président, mais aussi le regretté Michael Davies. L’une des réussites de la FIUV est d’avoir pu, et su, s’institutionnaliser. Notre force motrice vient de l’ensemble de nos membres qui tout en participant à un projet collectif conservent leur propre charisme et continuent de mener les batailles qui sont les leurs. Nous bénéficions du concours de personnes à l’expérience précieuse, comme celle de Leo Darroch, l’un des piliers de la FIUV, impliqué depuis plus de 20 ans dans les activités de la fédération ; mais aussi de figures plus jeunes, comme Joseph Shaw qui dirige l’un des plus ambitieux projets du monde traditionnel, celui de nos notes d’orientation (Position Papers), ou comme Carlos Palad, qui œuvre au développement de la forme extraordinaire de la messe aux Philippines. En fait, je pourrais aussi parler de la Russie et de la Pologne et de bien d’autres pays, sans oublier la France bien entendu, mais ce que je souhaite faire comprendre à travers ces quelques noms, c’est que la FIUV n’est pas une affaire individuelle mais collective. Par notre caractère international, nous tendons à être profondément catholiques.

Tout cela ne m’exonère pas de la responsabilité particulière qui m’incombe pendant mes deux années de mandat que j’ai souhaité placer formellement sous la protection du mystère de l’Immaculée Conception. Par cette consécration, nous avons remis entre les mains de la Sainte Vierge les capacités limitées qui sont les nôtres afin que, par son intercession et sous sa conduite, nos activités soient uniquement dirigées vers la plus grande gloire de Dieu.

Notre action continuera de se dérouler suivant trois axes principaux :
- servir de canal de communication et de représentation aux milliers de groupes locaux attachés à la messe tridentine,
- fournir, dans la mesure du possible, une aide pratique aux groupes souhaitant commencer à célébrer la forme extraordinaire du rite romain ou le faisant déjà,
- développer et exposer toujours davantage l’argumentaire en défense de la liturgie traditionnelle comme notre rôle de laïc nous le permet.
Ces trois missions sont évidemment interdépendantes et chaque projet particulier que nous menons contribue à les alimenter.

Enfin, vous avez mentionné 2017, comme dixième anniversaire du motu proprio de Benoît XVI or il se trouve que ce sera également le 50ème anniversaire de la première assemblée générale de la FIUV. Nous ne nous contenterons pas de célébrer ces anniversaires mais nous efforcerons de porter notre regard vers les 10 et 50 prochaines années : la paix est loin d'être acquise et nous n’avons pas fini de prier et de travailler.


2- Durant son pontificat, le pape Benoît XVI s’est efforcé de ramener l’attention des fidèles et de l’Église sur la place centrale du Christ dans la liturgie et, en conséquence, sur la centralité de la liturgie dans la vie des catholiques. De nouvelles et nombreuses initiatives liturgiques ont vu le jour pour accompagner ce mouvement de « réforme de la réforme » (conférences, pèlerinages, sites Internet, livres, etc.) : comment la FIUV accueille-t-elle ces initiatives ?

Felipe Alanis Suárez : Par principe, nous avons une sympathie naturelle pour tout ce qui est entrepris pour souligner la centralité du Christ, et non des hommes, non seulement dans la liturgie mais aussi dans toute la vie de l’Église. En ce qui concerne le mouvement dit de « réforme de la réforme », l’expérience montre que nous concordons souvent pour identifier dans la structure même du Novus Ordo la racine des problèmes rencontrés. Ce n’est pas seulement l’ars celebrandi – qui varie d’une paroisse à l’autre mais aussi d’un pape à l’autre comme le montre bien la comparaison des célébrations des trois derniers papes – qui est fautif mais certains aspects intrinsèques du Missel de 1970.

De façon générale, la réforme de la réforme semble se fonder sur le fait que la liturgie est un héritage et non une création, ce qui est un principe que le mouvement traditionnel partage évidemment. La proposition de nouvelles pratiques ou de nouveaux rites pour sortir de la crise ne saurait avoir pour résultat qu’un nouvel échec. La seule voie possible est de tempérer et d’estomper les changements issus de la réforme en réintroduisant des éléments présents dans la forme extraordinaire comme le canon en latin, la célébration ad Orientem, le grégorien, le caractère sacré du sanctuaire, etc.

Cependant, de toute évidence, la plupart de ces restaurations ne correspondent pas à l’ethos d’un Novus Ordo à la fois minimaliste et en kit, plaçant le célébrant devant une multitude d’options. Pire encore, le problème du nouveau missel c’est que personne ou presque ne le respecte ! Si les 50 dernières années ont quelque chose à nous apprendre, c’est bien que le respect des rubriques ne s’obtient pas par décret, hélas ! Il est significatif qu’aucun mouvement de défense du Novus Ordo, célébré suivant les instructions générales du missel romain, ne soit parvenu à se développer jusqu’à aujourd’hui. C’est comme si celui-ci était voué à muer en permanence, d’un changement à l’autre. Comme on l’observe aujourd’hui, il est admis, dans toute la hiérarchie de l’Église, que toute variation est admissible pourvu qu’elle réponde à un prétexte pastoral.

Que pourrait-on attendre, en fait, d’une réforme du Novus Ordo ? Une nouvelle réforme quelques années plus tard ?

Par ailleurs, dès lors que les éléments qui permettraient de récupérer la centralité du Christ dans le Novus Ordo se réfèrent à la forme extraordinaire, n’apparaîtraient-ils pas simplement comme le reflet nostalgique d’une lumière qui brille ailleurs ? À quoi bon réintroduire la célébration ad Orientem, les prières au pied de l’autel, le canon romain, par exemple, quand tous ces éléments existent dans la messe traditionnelle ? Celle-ci demeure, immuable, sobre, éternelle, révélée, respectée, sacrée. Elle ne changera pas. Ce n’est pas un désir mais un constat.

En résumé, je dirais que nous apprécions l’effort que représente la « réforme de la réforme ». C’est une tentative honnête, humble et souvent valable mais qui ne risque de n’être qu’un remède temporaire dès lors qu’elle ne peut déboucher que sur la fabrication d’une nouvelle liturgie. Alors que la forme extraordinaire, qu’aucun courant intellectuel n’influence, peut vanter sa sacralité, son histoire et son droit propre ainsi que son fort caractère pastoral comme on l’observe dans toute la catholicité, partout où elle est célébrée. La normalisation de sa célébration dans la vie quotidienne de l’Église est la voie la plus sûre pour remettre le Christ au centre de la vie liturgique de l’Église.


3- Grâce au travail précieux de Joseph Shaw, président de la Latin Mass Society, la FIUV a publié près de 30 notes d’orientation sur la liturgie et les sujets qui lui sont liées. Parmi ces notes, quelles sont celles qui vous ont le plus marqué ?

Felipe Alanis Suárez : Ces notes d’orientation (Position Papers en anglais, PP) sont une grandiose contribution faite à tout le mouvement traditionnel. À titre personnel, celles qui m’ont le plus marqué sont celles sur les servants de messe (PP 1), sur le silence dans la liturgie (PP 9) et celle sur les hommes et la forme extraordinaire (PP 26) ; très probablement parce qu’elles expriment de manière articulée les raisons à l’origine de mon attachement à la messe traditionnelle. Je suis convaincu que bon nombre des lecteurs de cette série d’articles y ont trouvé des éléments concrets et argumentés pour expliquer leur adhésion à la forme extraordinaire. Il n’en existe pas encore de version en français mais j’invite tous vos lecteurs anglophones à les consulter sur notre site Internet.


II – Les réflexions de Paix liturgique

1) Una Voce est la plus ancienne initiative collective en faveur de la liturgie traditionnelle. La Fédération internationale Una Voce (FIUV) a été formellement érigée en 1967 à Zurich mais l’association Una Voce de France avait été créée dès 1964 par Georges Cerbelaud-Salagnac.
Le Concile s’achevait, et la Commission de réforme de la liturgie entamait une série de réformes préparatoires à l’adoption d’un nouveau missel (messe en langue vernaculaire et face au peuple, communion debout, concélébrations multipliées, etc.) La disparition du latin et du chant grégorien apparaissait comme particulièrement désastreuse, non seulement du point de vue religieux, mais aussi culturel. Tout cela s'accompagnait de la transformation des églises comme l'a si bien mis en scène Michel de Saint-Pierre dans ses romans : autel majeur abandonné, tabernacle mis sur le côté, évacuation des statues de saints, disparition des agenouilloirs. En Angleterre, en France, en Italie, en Allemagne, partout à travers le monde, la presse relayait les protestations des intellectuels, des artistes, des musiciens, des écrivains face à ce qu'ils percevaient comme un abandon dont les conséquences dépassaient largement la sphère catholique.
C’est dans ce contexte qu’est née Una Voce, pour la pour la défense du latin et du chant grégorien qui lui est attaché, appuyée par les compositeurs Maurice Duruflé et Olivier Messiaen. Et lorsqu’en 1969 fut promulgué un nouveau missel, qui remplaçait le missel tridentin, Una Voce pris place immédiatement parmi les pionniers qui se mirent à demander que ce dernier puisse être toujours célébré.

2) La dimension internationale de la FIUV est l'une de ses principales caractéristiques et illustre bien l'universalité de la messe traditionnelle : aujourd'hui, la FIUV compte 41 associations réparties sur tous les continents, de Cuba au Japon et du Nigeria à la Lettonie. L'un des secrets de la longévité de la Fédération internationale Una Voce est que chacun de ses membres garde sa propre identité, son propre calendrier d'activités et ses priorités. Ces dernières années, le développement d'Una Voce a été porté à la fois par les anciens pays communistes (Russie, Biélorussie, Lettonie) et latino-américains, Cuba étant un symbole de cette renaissance liturgique de plus en plus universelle.

3) Il est très heureux que Felipe Alanis insiste sur l'offre de matériel didactique, d'argumentaire et d’aide pratique aux groupes mettant en place des célébrations. Pour avoir accompagné le développement du motu proprio Summorum Pontificum en France depuis 2007, nous savons bien à quel point les demandeurs ont soif de formation et d'information. C'est encore plus vrai dans des pays où tout est à faire : depuis la traduction des textes régissant l'application du motu proprio jusqu'à celle du propre de la messe dominicale. Comme le dit Felipe Alanís Suárez, « la paix est loin d'être acquise et nous n’avons pas fini de prier et de travailler ». En ce sens, la FIUV montre l'exemple avec la série de notes d’orientation sur le missel de 1962 (« Position Papers ») qu'elle a publiée sous la direction de Joseph Shaw, père de famille nombreuse, président de la très active Latin Mass Society britannique et professeur à Oxford. Ces notes, qui n'ont pas encore de traduction française, représentent un outil précieux pour l'approfondissement des richesses et des spécificités de la liturgie traditionnelle.

4) Les considérations de Felipe Alanís Suárez sur la « réforme de la réforme » nous paraissent très justes. Il a raison d'estimer que ce mouvement porté par de courageux prêtres et prélats de terrain est en soi une preuve ultérieure des « défauts d'usine » du Novus Ordo. La réintroduction d'éléments de la liturgie ancienne risque fort de n'être qu'un pis-aller tant ces éléments sont, par nature, contraires à l’esprit comme à l'ethos de la nouvelle liturgie. D'autant plus que ces réintroductions seront par nature provisoires, sauf à aboutir à la confection d’un nouveau Nouveau Missel, ce qui est non seulement improbable mais serait aussi parfaitement inutile tant que l'Église tout entière n'aura pas retrouvé le vrai sens de la liturgie.

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