Notre lettre 557 publiée le 19 août 2016

CARDINAL SARAH (4) : COMMENT AVANCER VERS UNE MISE EN ŒUVRE AUTHENTIQUE DE SACROSANCTUM CONCILIUM DANS LE CONTEXTE ACTUEL ?

Voici l'avant-dernière partie de l'allocution prononcée le 5 juillet 2016 par le cardinal Robert Sarah, Préfet de la Congrégation du culte divin et de la discipline des sacrements, lors des journées Sacra Liturgia 2016. Cette lettre et la suivante rapportent les propositions concrètes faites par le ministre de la liturgie du pape François pour « une authentique mise en œuvre de Sacrosanctum Concilium ».

Le cardinal continue en fait d’interpréter la constitution conciliaire selon une « herméneutique de continuité », en allant vraiment très loin en ce sens. Par exemple :
- en expliquant que l’apprentissage de la forme extraordinaire devrait être une partie importante de la formation liturgique du clergé, puisque cette forme donne accès à la tradition liturgique latine ;
- en infléchissant la participation active des fidèles vers la piété intérieure plutôt que dans « le bruyant et dangereux activisme liturgique », dans la droite ligne de Benoît XVI ;
- en revenant très clairement sur le thème de la révision de certaines réformes trop conformes à l’esprit du temps : « Je ne pense pas qu’on puisse disqualifier la possibilité ou l’opportunité d’une réforme officielle de la réforme liturgique » ;
- en posant la question du caractère convenable des immenses concélébrations (il pense aux concélébrations présidées par le Pape, où l’on voit, dit-il des concélébrants sortir leurs téléphones portables ou leurs appareils photographiques).

Ces propositions ont suscité à la fois l'enthousiasme des participants à la conférence (nous y étions !) comme de nombreux prêtres sur les réseaux sociaux, mais aussi une réaction virulente de la part des derniers dinosaures modernistes.



Le cardinal Sarah en compagnie du Pape François lors de la présentation de la Bible africaine.

"À la lumière des souhaits fondamentaux des Pères du Concile et des différentes situations que nous avons vu apparaître après le Concile, j’aimerais présenter quelques considérations pratiques quant à la façon de mettre en œuvre Sacrosanctum Concilium plus fidèlement dans le contexte actuel. Quand bien même je suis à la tête de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements, je le fais en toute humilité, comme prêtre et comme évêque, dans l’espoir qu’elles susciteront des études et des réflexions mûres ainsi que de bonnes pratiques liturgiques partout dans l'Église.

Vous ne serez pas surpris si je recommande que nous puissions avant tout examiner la qualité et la profondeur de notre formation liturgique, la manière dont nous avons aidé le clergé, les religieux et les laïques à s’imprégner de l’esprit et de la force de la liturgie. Trop souvent, nous supposons que les candidats à la prêtrise ou au diaconat en « savent » assez en matière liturgique. Mais ici, le Concile n’insistait pas sur les savoirs académiques, quoique, naturellement, la Constitution souligne l’importance des études liturgiques (cf. n. 15-17). La formation liturgique est avant tout et essentiellement une immersion dans la liturgie, dans le profond mystère de Dieu Notre Père bien-aimé. Il s’agit de vivre la liturgie dans toute sa richesse, de s’enivrer en buvant à une source qui n’éteint jamais notre soif pour ses délices, ses lois et sa beauté, son silence contemplatif, son exultation et adoration, son pouvoir de nous relier intimement avec Celui qui est à l’œuvre dans et par les rites sacrés de l'Église.

C’est pourquoi ceux qui sont en « formation » pour le ministère pastoral devraient vivre la liturgie aussi pleinement que possible dans les séminaires et les maisons de formation. Les candidats au diaconat permanent devraient être immergés dans une intense vie de prière liturgique pour une période prolongée. J’ajoute que la célébration pleine et riche de la forme ancienne du rite romain, l’usus antiquior, devrait être une part importante de la formation liturgique du clergé. Sans cela, comment commencer à comprendre et à célébrer les rites réformés dans l’herméneutique de la continuité si l’on n’a jamais fait l’expérience de la beauté de la tradition liturgique que connurent les Pères du Concile eux-mêmes et qui a façonné tant de Saints pendant des siècles ? Une sage ouverture au mystère de l'Église et sa riche tradition pluriséculaire et une humble docilité à ce que l’Esprit Saint dit aux Églises aujourd’hui sont un vrai signe que nous appartenons à Jésus Christ : « En effet Jésus leur dit : Ainsi donc tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux est semblable à un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux » (Mt 13,52).

Si nous y parvenons, si nos nouveaux prêtres et diacres ont vraiment soif de la liturgie, ils seront à même de former ceux qui leur sont confiés, et ce, même si les circonstances et les possibilités de leur mission ecclésiale sont plus modestes que celles d’un séminaire ou dans une cathédrale. Je connais beaucoup de prêtres, qui, dans de telles circonstances, forment leurs fidèles dans l’esprit et la force de la liturgie, et dont les paroisses sont des exemples de grande beauté liturgique. Nous devrions nous souvenir que la noble simplicité n’est pas un minimalisme réducteur, ou un style négligé voire vulgaire. Le Pape François l’a rappelé dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium : « L’Église évangélise et s’évangélise elle-même par la beauté de la liturgie, laquelle est aussi célébration de l’activité évangélisatrice et source d’une impulsion renouvelée à se donner » (n. 24).
 
Deuxièmement, je pense qu’il faut être clair au sujet de la participation à la liturgie, de la participatio actuosa qu’appelait le Concile. Cela a généré beaucoup de confusions au cours des dernières décennies. L’article 48 de la Constitution expose que : « L’Église se soucie […] d’obtenir que les fidèles n’assistent pas à ce mystère de la foi comme des spectateurs étrangers et muets, mais que, le comprenant bien dans ses rites et ses prières, ils participent de façon consciente, pieuse et active à l’action sacrée [...]. » Pour le Concile, la participation est d’abord intérieure, obtenue en « comprenant bien [le mystère de l’Eucharistie] dans ses rites et ses prières ». La vie intérieure, la vie plongée en Dieu et intimement habitée par Dieu est la condition indispensable à une participation fructueuse et féconde aux Saints Mystères que nous célébrons dans la liturgie. La Célébration eucharistique doit être essentiellement vécue de l’intérieur. C’est au-dedans de nous que Dieu désire nous rencontrer. Les Pères voulaient que les fidèles chantent, qu’ils répondent au prêtre, qu’ils assurent les services liturgiques leur appartenant. Mais les Pères insistent également pour que les fidèles « participent de façon consciente, pieuse et active à l’action sacrée ».

Si nous comprenons la priorité d’intérioriser notre participation liturgique nous éviterons le bruyant et dangereux activisme liturgique qui s’est rencontré trop souvent dans les dernières décennies. Nous n’allons pas à la messe pour se donner en spectacle, nous y allons pour rejoindre l’action du Christ à travers une intériorisation des rites, prières, signes et symboles qui font partie des rites extérieurs. Nous prêtres, nous pourrions nous en souvenir plus souvent que les autres, nous dont la vocation est le service liturgique ! Nous devons aussi former les autres, en particulier les enfants et les jeunes, à la véritable signification de la participation, à la manière de prier la liturgie.

Troisièmement, j’ai évoqué le fait que certaines réformes introduites après le Concile ont pu être élaborées conformément à l’esprit du temps. Depuis lors, un nombre croissant d’études critiques menées par des fils de l'Église posent la question de savoir si ce qui a été fait mettait authentiquement en œuvre les buts de la Constitution sur la Liturgie, ou si, en réalité, ces réformes avaient manqué l’objectif. Ce débat a parfois lieu sous l’intitulé de « réforme de la réforme », et je sais que le Père Thomas Kocik a présenté une étude érudite à ce sujet lors de la conférence Sacra Liturgia à New York, il y a un an.

Je ne pense pas qu’on puisse disqualifier la possibilité ou l’opportunité d’une réforme officielle de la réforme liturgique. Ses promoteurs font des remarques judicieuses dans leur tentative d’être fidèle au souhait du Concile exprimé dans l’article 23 de la Constitution qui souhaite « que soit maintenue la saine tradition, et que pourtant la voie soit ouverte à un progrès légitime ». Il faudra toujours commencer par une soigneuse étude théologique, historique, pastorale et qu’« on ne fera des innovations que si l’utilité de l’Église les exige vraiment et certainement, et après s’être bien assuré que les formes nouvelles sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique. »

Pour appuyer cela, je souhaite dire que lorsque je fus reçu en audience par le Saint-Père en avril dernier, le Pape François m’a demandé d’étudier la question d’une réforme de la réforme et la manière dont les deux formes du rite romain pourraient s’enrichir mutuellement. Ce sera un travail long et délicat et je vous demande de la patience et l’assistance de vos prières. Si nous voulons mettre en œuvre Sacrosanctum Concilium plus fidèlement, si nous voulons réaliser ce que le Concile souhaitait, cela est une question qui doit être étudiée avec attention et examinée avec la clarté et la prudence requises dans la prière et la soumission à Dieu.

Nous, prêtres et évêques, portons une grande responsabilité. Autant notre exemple vertueux produit de bonnes pratiques liturgiques, autant notre négligence, notre routine ou nos mauvaises manières de faire blessent l'Église et sa liturgie !

Nous, prêtres, devons avant tout être des ministres du culte. Les fidèles savent différencier un prêtre qui célèbre avec foi d’un autre qui célèbre en hâte, regardant souvent sa montre, manifestant peut-être par là qu’il veut retourner à ses activités pastorales, à d’autres engagements, ou aller regarder sa télévision au plus vite ! Mes frères dans le sacerdoce, rien n’est plus important que de célébrer les saints mystères. Prenons garde à la tentation de célébrer avec indolence ou tiédeur, parce que c’est une tentation du diable.

Nous devons nous souvenir que nous ne sommes pas les maîtres de la liturgie, mais ses humbles ministres, sujets à une discipline et à des lois. Nous sommes responsables de la formation de ceux qui nous assistent dans le service liturgique, tant en ce qui concerne l’esprit et la force de la liturgie que ce qui touche à ses lois. Parfois, j’ai vu des prêtres s’écarter et se mettre de côté pour laisser des ministres extraordinaires distribuer la sainte communion : cela n’est pas acceptable parce que c’est autant une négation du ministère du prêtre qu’une cléricalisation des laïques. Lorsque cela se produit, c’est le signe que la formation a été particulièrement médiocre, et cela doit être corrigé (cf. Mt 14,18-21). « Jésus pris les cinq pains et les deux poissons... il les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule... et tous ceux qui avaient mangé les pains étaient cinq mille hommes » (Mc 6,30-44).

J’ai également vu des prêtres, des évêques, habillés pour célébrer la sainte messe, sortir leurs téléphones ou leurs appareils photos et s’en servir au cours de la sainte liturgie. Cela est révélateur de ce qu’ils croient assumer comme mission lorsqu’ils revêtent les vêtements liturgiques qui nous habillent et nous transforment en alter Christus, et plus profondément encore, en ipse Christus, c’est-à-dire le Christ lui-même. C’est un sacrilège. Aucun évêque, prêtre, ou diacre habillé pour le service liturgique ou présent dans le sanctuaire ne devrait prendre de photographies, même pendant les messes avec un grand concours de concélébrants. Le fait est que tristement cela arrive souvent au cours de ces messes, ou encore que des prêtres parlent entre eux ou que d’autres s’assoient nonchalamment. C’est urgent, à mon sens, de réfléchir et de poser la question de l’idonéité de ces immenses concélébrations, surtout si des prêtres adoptent des attitudes si scandaleuses et indignes du mystère célébré, ou si la taille extrême de ces concélébrations conduit à un risque de profanation de la Sainte Eucharistie."

© Cardinal Robert Sarah, Sacra Liturgia UK

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