Notre lettre 641 publiée le 24 avril 2018

DANS TOUTES LES PAROISSES DE CHINE, IL Y A UNE DEMANDE DE MESSE TRADITIONNELLE !

Entretien avec M. le curé de l'église Saint-Joseph de Shanghai

C'est un témoignage exclusif que nous vous proposons cette semaine. Grâce à un ami lecteur que nous remercions vivement, voici un entretien avec le curé de la paroisse Saint-Joseph de Shanghai, qui offre une fois par mois la forme extraordinaire à ses paroissiens lors de la grand-messe dominicale. Ce document est unique : d'abord parce qu'il s'agit du témoignage d'un prêtre d'un pays où l'Église est sous étroite surveillance ; ensuite parce qu'il s'agit d'un des rarissimes curés de cet immense pays célébrant officiellement selon les dispositions du motu proprio Summorum Pontificum ; enfin parce qu'il s'agit d'une voix venue de l'une des villes les plus inégalitaires et matérialistes de la planète. L'entretien a été réalisé le 7 avril 2018, dimanche in albis. Nous invitons tous nos lecteurs à prier pour ce prêtre et sa communauté.

NB : Du 14 au 22 mai, un envoyé de Paix Liturgique se rendra en Asie pour un reportage sur les communautés traditionnelles de Séoul, Taipei, Hong-Kong et Singapour. N'hésitez pas à nous faire part de vos éventuels contacts sur place. Vos dons pour couvrir les frais de ce voyage sont aussi les bienvenus. Le budget estimé du voyage est de 2500 euros.




1) En Occident, l’histoire de la messe en latin est compliquée : interdiction dans les faits en 1970 lors de la promulgation du nouveau missel, maintien à la marge puis renouveau progressif jusqu’à nos jours où elle occupe une place significative chez les jeunes et en termes de vocations. En Chine, tout a sûrement été très différent : pouvez-vous nous raconter la place de la messe dans sa forme traditionnelle depuis 50 ans ?

En pratique, la messe en latin en Chine concerne extrêmement peu de monde. Elle est célébrée à ma connaissance dans trois lieux pour toute la Chine : une paroisse au sud de Pékin, ma paroisse à Shanghai, et à Wuhan (1), où j’ai vu sur Internet qu’un prêtre recommence à dire la messe traditionnelle. C’est un prêtre de 52 ans, comme moi. C’est-à-dire qu’il a sans doute été ordonné comme moi il y a 23 ans environ, juste avant l’introduction du nouveau missel. 
En Chine, les églises et les séminaires fermés en 1950 ont été rouverts en 1978. Il n’y a pas eu de changement à cette date, ni dans la liturgie ni dans l’enseignement au séminaire, tout a repris comme auparavant. Ce n’est qu’à partir de 1995 que l’on a mis en place le nouvel ordo, et que l’on a cessé d’enseigner le latin et l’ancienne liturgie au séminaire.

2) Dans le cas de votre paroisse : comment en êtes-vous venu à dire la messe traditionnelle une fois par mois et aux grandes fêtes ?

La messe traditionnelle n’a jamais cessé d’être célébrée dans ma paroisse, de 1982 à 2007, par le même curé. Quand il est mort en 2007, et que j’ai été nommé curé, j’ai poursuivi, toujours à la demande de mes paroissiens.

3) Si c’est à la demande de vos paroissiens, pourquoi en est-il ainsi à Saint-Joseph de Shanghai et pas ailleurs ?

Dans toutes les paroisses, il y a une demande des paroissiens de garder la messe traditionnelle ! Mais comme les nouveaux prêtres n’étaient pas formés, les chorales se sont éteintes, les servants de messe sont partis et la « compétence » s’est perdue. C’est un très grand dommage, car aujourd’hui les plus intéressés par la messe traditionnelle, ce sont les jeunes. Il y a certes besoin d’un effort intellectuel de leur part au départ pour comprendre la messe traditionnelle. Mais une fois qu’ils ont fait cet effort initial, ils ne veulent plus revenir à la forme moderne en chinois. Paradoxalement, on ne retrouve pas cet appétit chez les jeunes prêtres. Ce sont souvent eux les plus rétifs à la messe traditionnelle. L’un d’eux, issu de mon propre séminaire, m’a dit récemment que le latin « faisait beaucoup de mal à l’Église ! » Alors que moi, je sens bien que le latin me relie à la vie de l’Église universelle. 
Cet écart entre prêtres et fidèles existe depuis 1995, depuis que l’on a appris aux prêtres à se relâcher, à être désinvoltes. Comme s’ils devaient toujours montrer qu’ils se sont libérés de quelque chose. Ils célèbrent la messe en se grattant, en gigotant… Ou encore, 90% de mes confrères à Shanghai ne se préparent plus en prière à célébrer leur messe. Untel arrive même systématiquement à son église juste après 7h, alors que la messe est à 7h. Il me semble dès lors évident qu’il n’a pas pu bien se préparer.



4) La messe en latin dans votre paroisse est un cas particulier : elle n’est pas une alternative, c’est la messe habituelle paroissiale qui, une fois par mois, est dite en forme traditionnelle. Comment réagissent vos paroissiens ? Sont-ce exactement les mêmes personnes que vous recevez dans votre église ces dimanches-là ?

Non, ce n’est pas exactement pareil. Ceux qui viennent à la messe traditionnelle sont plus nombreux car ils viennent de tout Shanghai, alors que les autres dimanches je n’ai que les paroissiens de ma zone géographique. Nous sommes un peu moins de 200 personnes à l’église le dimanche, un peu plus de 300 les dimanches où je célèbre la messe traditionnelle.

5) Vous personnellement, en tant que prêtre et pasteur, cette célébration régulière de l’ancien ordo, que vous apporte-t-elle ? A-t-elle par exemple une influence sur la manière de célébrer votre messe dans le nouvel ordo ?

Pour célébrer la forme moderne, je garde en tête les instructions de la forme traditionnelle. Vous seriez même surpris [rires] : je porte chasuble et barrette pour célébrer la forme moderne ! Dans la forme moderne, tout est libéré, il n’y a plus de règle. En tant que prêtre, j’ai toujours une angoisse : « Ai-je bien célébré le Saint Sacrifice ?  Le miracle de la transsubstantiation a-t-il encore eu lieu, n’ai-je pas été distrait, n’ai-je pas manqué de foi ? ». Avec l’ancien ordo, il suffit de se couler dans le moule et de suivre les instructions, et je n’ai jamais cette angoisse. C’est très personnel, mais l’ancien ordo m’aide à conserver la foi, je n’ai jamais de doute au sujet de la réalité et de la validité de la consécration. L’ancien ordo m’aide à être chaleureux, rigoureux.
Si j’étais professeur au séminaire, je recommanderais sans aucun doute aux séminaristes de célébrer la messe traditionnelle. C'est ce qu'a fait un de mes professeurs au séminaire, un salésien. Il est aujourd’hui retiré à Hong-Kong. C’est un grand ami de la messe traditionnelle, il la célèbre souvent.

6) Identifiez-vous des fruits spécifiques dans la vie paroissiale ?

Primo : à chaque fois, j’ai le sentiment du devoir accompli. Ma messe est dite de manière chaleureuse, elle n’est jamais fade. Secundo : à chaque fois, je vois de nouveaux paroissiens. [Il sort son portable et parcourt des photos glanées sur Internet. La première montre le Pape François célébrant ad orientem dans la chapelle Sixtine. La deuxième un prêtre en adoration devant le Saint Sacrement]. Tertio : vous savez, chaque fois que des gens voient un prêtre dans cette position, il y en a qui se convertissent !

7) En plus des questions strictement spirituelles, avez-vous la sensation d’un combat culturel, dans une optique de transmission ou d’une forme de résistance à la société ambiante ?

Je n’ai pas particulièrement l’impression de transmettre un patrimoine. Il est vrai que j’ai une foi « traditionnelle ». C’est ainsi, je ne peux pas enseigner le catéchisme autrement que de manière « traditionnelle ». J’enseigne la manière « traditionnelle » de servir la messe, je vêts mes ornements de manière « traditionnelle ». Je ne peux pas être autrement. Je porte la soutane tous les dimanches depuis 23 ans. Je mets un surplis blanc pour administrer l’extrême-onction (2), ce que ne font plus mes confrères. Je serais incapable de faire autrement. [Il ressort son téléphone, montre les photos de l’ordination d’un jeune prêtre d’une communauté Ecclesia Dei] Et vous savez, quand je trouve au hasard ces photos sur Internet, ce jeune prêtre en Pologne, je sais que je suis en pleine communion avec l’Église universelle. Je n’ai alors pas la sensation d’être à contre-courant, il me semble que tout le monde me soutient. [Émotion de l’interviouveur, qui connaît bien ces photos et se souvient avoir pleuré la première fois qu'il les a vues - ce sont les photos de l’ordination de l’abbé Côme Rabany, FSSP, qui bénit ses propres parents à la sortie de sa messe d’ordination.] Quant à être à contre-courant dans la société du matérialisme et de l’argent-roi… je ne fais pas trop attention à ça. Quand on est catholique, on ne doit certes pas accorder à l’argent l’importance que lui donnent les Shanghaïens en général. De manière générale, je ne suis pas sûr que l’église catholique et particulièrement la messe traditionnelle intéressent beaucoup les riches.



8) En pratique, comment cela s’est-il passé ? A-t-il fallu réapprendre le grégorien, retrouver de vieux missels perdus ? Aviez-vous encore des ornements ? Avez-vous procédé à de nouvelles traductions ? Y a-t-il eu des ajustements liturgiques ?

Puisqu’il n’y avait pas eu d’interruption dans notre paroisse, nous avions gardé tous les ornements et les missels. Les gens savaient encore chanter le grégorien. Nous avions une bonne chorale jusqu’en 2007, que nous avons pu relancer. Pour ce qui est de l’ordo, nous disons la messe « d’avant la Révolution », donc telle qu’on la disait en 1949. En fait, j’ai gardé tous les livres de mon prédécesseur. Par exemple, pour le 15 août, nous chantons le vieil introït « Gaudeamus » et non la messe définie par Pie XII. Au moment de la proclamation du dogme de l’Assomption, il n’y avait en effet déjà plus de messe en Chine !

9) Votre église fut autrefois et pendant quelques décennies une paroisse française. En dehors de l’architecture, reste-il quelque chose de cette présence ?

Dans l’église, il reste une plaque funéraire à la mémoire de Blanche de Montigny, la fille du premier consul de France, qui a été oubliée par les casseurs. Toutes les autres traces françaises ont été détruites dans l’église. Pour ce qui est de la communauté, c’est différent. On disait autrefois de Shanghai que c’était une annexe de l’archevêché de Paris, tant les missionnaires français y étaient actifs et nombreux. Il nous en reste quelques trésors. [il sort un cadre photo en noir et blanc de très grande taille, intitulé en français « Concile plénier de Shanghai, 1924 ». De nombreux évêques sur la photo, des supérieurs de communauté, le nonce apostolique. Son doigt passe d’un visage à l’autre, parlant de tel ou tel dont il connaît l’histoire, montrant les Français…] Le nonce apostolique sur cette photo est devenu cardinal par la suite… Celui-ci est mort martyr, il est canonisé… Celui-ci a été capturé par les Japonais, il a protégé ses prêtres et est mort écorché vif… Parmi les prêtres français, il y en a trois dont la communauté a gardé un souvenir vivace, je ne les connais que par leurs noms chinois : « Neng Mu De » : les révolutionnaires l’ont chassé mais lui souhaitait absolument mourir sur la terre de Chine. Il est tombé malade au moment de partir, son bateau s’est arrêté à Canton où il a expiré ; « E Lao » : il avait hérité de 100 000 francs et avait utilisé cet héritage pour construire une réplique de la grotte de Lourdes à Pudong [l'un des quartiers de la mégapole]. Un de ses neveux français est déjà venu nous voir à Shanghai ; « Xao Jiazhu », qui enseignait la chimie et qui avait perdu un bras (3).

10) La situation de l’Église en Chine est particulière, puisque les pouvoirs publics sont très actifs à son égard. Qu’évoque pour vous la messe traditionnelle en ce qui concerne la communion avec les autres catholiques du monde entier et ceux du passé ? Votre célébration mensuelle est-elle bien accueillie par vos autorités de tutelle ?

Il faut prendre du recul. Je pense par exemple à l’époque de l’Empereur Kan Xi (1664-1723). Dans toute l’histoire de la Chine, le pouvoir a toujours eu une opinion sur l’Église catholique. Dure ou bienveillante selon les époques, mais en tous cas, jamais indifférente. Ceux qui à notre époque disent que le pouvoir serait indifférent à l’Église disent faux. Kan Xi à son époque a regardé ce qu’il pouvait y avoir de bon pour lui dans la religion catholique, et a redouté ce qui pourrait nuire à son pouvoir. C’est pour cela qu’il a toujours voulu avoir des représentants catholiques à ses côtés, et les pouvoirs publics ont toujours le même souci : s’assurer que l’on ne nuise pas à leur pouvoir terrestre. Quand je célèbre la messe traditionnelle, je me dis que je suis exactement comme au temps de Kan Xi : j’ai la même foi, je célèbre le même sacrifice, et j’ai les mêmes problématiques à gérer.

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(1) Capitale de la province de Hubei, au cœur de la Chine. 20 millions d’habitants environ.
(2) Peut-être une imprécision au moment de la traduction : le prêtre a-t-il bien voulu mentionner son surplis blanc, ou voulait-il parler du linge blanc qui recouvre le lit du malade ?
(3) Pour ce troisième prêtre, l’identification est plus facile : c’est le jésuite Robert Jacquinot de Besange, véritable héros dont l’action personnelle a sauvé pas moins de 300 000 personnes lors de la guerre sino-japonaise de 1937. À noter que M. le curé de St Joseph n’est pas originaire de Shanghai : ce qu’il connaît de l’histoire de sa paroisse tient donc au ouï-dire de ses paroissiens, à leur mémoire et… à la communion des Saints.

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