Notre lettre 689 publiée le 2 avril 2019

Père Ian Justyn, cistercien : le rayonnement de la messe traditionnelle en Tchéquie

«Le rite tridentin est le plus digne pour honorer Dieu»

Notre ami le père Ian Justyn est le prieur du monastère cistercien de Vissy Brod en Tchéquie. Il évoque pour nous l’extraordinaire histoire de son abbaye qui depuis le 13ème siècle a connu des heures de gloire et traversé des temps d’épreuves avant de devenir, par les voies de la Providence, un centre de rayonnement de la liturgie traditionnelle au cœur de l’Europe centrale.




Paix Liturgique - Père Justyn, racontez-nous les grandes lignes de l’histoire de votre abbaye ?

Père Justyn -La fondation de notre abbaye remonte au 13ème siècle où elle naquit de la volonté du seigneur local, dont l’épouse souhaita qu’il la confiât à des moines cisterciens. Cette fondation qui débuta en 1259 se fit dans un désert boisé au bord de la Vitava. A l’époque, la région n’était guère peuplée et la ville actuelle de Vyssy Brod se constitua au cours des siècles en appendice de l’abbaye. A partir de là les événements furent rapides et l’abbatiale actuelle fut édifiée en 1270. Sa voûte résonne encore des voix des milliers de moines qui y vécurent leur vocation cistercienne.

La situation se détériora pendant la guerre de Trente Ans, ce qui n’empêcha pas les moines de transformer leur abbaye dans un style baroque exubérant mais surtout de mettre en application les principes de réforme de la vie religieuse selon les directives du Concile de Trente avec notamment un encouragement à la vie intellectuelle, ce qui eut pour effet la création de la célèbre bibliothèque du monastère qui existe encore aujourd’hui.




La première grande épreuve de l’abbaye fut une conséquence du Joséphisme (la politique religieuse de Joseph II d’Autriche inspirée des Lumières) qui visait, avant votre Révolution, à la confiscation du patrimoine religieux et à la suppression de la vie contemplative jugée inutile. En 1786, l’abbé Hermann Kuntz fut démis de ses fonctions, l’abbaye eut interdiction de recevoir des novices et ses biens mis sous séquestre. Cependant en 1790, à la mort de l’empereur Joseph II, toutes ces mesures furent révoquées et l’abbaye pu retrouver sa vie antérieure.


Paix Liturgique - Comment l’abbaye traversa – elle le 19ème siècle ?

Père Justyn - Le 19ème siècle fut une période de renouveau sous l’abbatiat de Léopold Wackarž, également Abbé général de l’ordre de Cîteaux. Cependant, la première guerre mondiale provoqua de nouvelles épreuves pour l’abbaye. Celle-ci fut quasiment ruinée par l’effort de guerre et la perte de ses terres agricoles. De plus, les nouvelles autorités de la toute nouvelle Tchécoslovaquie regardèrent les congrégations catholiques avec méfiance. C’est pour concilier celles-ci qu’une congrégation cistercienne entièrement tchèque et séparée de celle d’Autriche fut constituée en 1923 sous le vocable du très pur cœur de Marie.


Paix Liturgique - L’heure de la grande épreuve était arrivée ?

Père Justyn - En effet l’abbaye va se trouver plongée dans la tourmente des événements menant à la Seconde Guerre mondiale. Le président tchécoslovaque Edvard Beneš visite Vyšší Brod en 1937. Mais en 1938, aux termes des accords de Munich, les Sudètes, dont Vyšší Brod (en allemand Hohenfurth) fait partie, sont occupées par l’Allemagne. En 1941, l’abbaye est dissoute sur ordre des autorités occupantes, les moines les plus jeunes sont envoyés sur le Front de l’Est et les plus âgés doivent trouver refuge dans les paroisses environnantes. A la libération, la vie religieuse est brièvement rétablie à l’abbaye entre 1946 et 1949, mais seulement avec les religieux de langue tchèque survivants, les religieux de langue allemande ayant été expulsés du pays. En 1950, les autorités communistes tchécoslovaques exproprient les derniers moines restant. Ceux qui le peuvent quittent alors le pays pour rejoindre les abbayes situées en Autriche et en Bavière, ce qui veut dire qu’à ce moment l’abbaye n’existe plus et son patrimoine est dispersé dans les musées et bibliothèques de Tchécoslovaquie.




Paix Liturgique - L’abbaye pouvait-elle renaître après ces épreuves ?

Père Justyn – Les voies du Seigneur sont impénétrables et jamais il n’oublie ses enfants… Après la Révolution de Velours, qui voit disparaître le régime communiste de Tchécoslovaquie, les lois antireligieuses sont supprimées et le 17 janvier 1990 les ordres monastiques sont de nouveaux autorisés.


Paix Liturgique - C’est dans ce contexte que renaît l’abbaye ?

Père Justyn - En mars 1991, deux des six moines survivants reviennent à l’abbaye. C’est là que je les rejoins et dans les décennies qui suivent l’abbaye est progressivement restaurée, et de jeunes moines accueillis et formés.


Paix Liturgique – Mais vous-même, comment vous êtes-vous agrégé à cette aventure ?

Père Justyn – J’avais eu la grâce de traverser l’époque communiste dans une famille catholique et très tôt je me sentis attiré vers la vie religieuse. C’est d’ailleurs en 1987, alors que la situation de la Tchécoslovaquie était terrible, que je pris l’habit monastique clandestinement.


Paix Liturgique - Vous vouliez devenir cistercien ?

Père Justyn - Comment dire cela ? J’ai senti que la Sainte Vierge et saint-Bernard m’appelaient dans cette voie. Aussi lorsque le petit groupe de Vassy s’est constitué je me suis naturellement agrégé à cette restauration.


Paix Liturgique - Dans quel état se trouvait l’abbaye ?

Père Justyn - Pendant l’ère communiste l’abbaye est tombée en ruines, l’église abbatiale transformée en musée et notre bibliothèque de 70.000 volumes spoliés fut transférée à Prague, ce qui lui permis néanmoins d’être sauvée ainsi qu’une vénérable relique de la Vraie Croix enchâssée dans un reliquaire cruciforme byzantin. A leur arrivé, les moines ont récupéré les bâtiments dans un état lamentable mais ont pu récupérer les œuvres d’art et le fond de livres spoliés en 1950. Depuis notre arrivée nous avons entrepris, lentement, car cela est très lourd et onéreux, de restaurer les bâtiments qui servent à la renaissance de notre communauté. Mais une bonne moitié des bâtiments restent en ruines, dont l’ancienne brasserie et des étables que nous restaurerons au fils du temps car nous avons de nombreux projets.


Paix Liturgique - Pouvez-vous nous en dire plus ?

Père Justyn – Actuellement nous effectuons le ravalement d'un bâtiment déjà restauré à l’intérieur. Il accueille la cantine et des chambres pour les ouvriers qui travaillent à l’abbaye ou pour des hôtes de passage mais, dès que nous le pourrons, nous souhaitons mettre en place des formations pour les servants de messe et pouvoir accueillir des fidèles pour des retraites spirituelles.


Paix Liturgique - Au cours de cette renaissance quelle liturgie utilisiez-vous dans votre abbaye ?

Père Justyn – Nous étions attachés aux racines de notre ordre et à sa liturgie antique, mais dans le contexte que je viens de vous présenter le seul fait de pouvoir revivre nous semblait déjà un miracle et nous avons dans un premier temps était obligés d’utiliser ce qui était le plus près de nos vœux c’est-à-dire le Nouvel Ordo Missæ en latin et grégorien.


Paix Liturgique - Quand êtes-vous revenu à la messe traditionnelle ?

Père Justyn – Comme je viens de le laisser entendre nous désirions profondément revenir à notre antique liturgie. Aussi, dès la publication du motu proprio Summorum Pontificum en 2007 sommes-nous revenus, non seulement à la célébration de la messe selon l’usus antiquior, mais aussi à la reprise de toute la liturgie cistercienne telle qu’elle avait été fixée en 1956. Ceci pour revenir aux racines de l’ancien rite cistercien, mais aussi parce que les bâtiments du monastère et l’ancien rite vont de pair. J'ajouterais aussi que le rite tridentin est le plus digne pour honorer Dieu et nous avons à cœur de le faire comme nos frères l’ont fait pendant plus de sept siècles, mais cela réjouit aussi le cœur des fidèles.


Paix Liturgique - Vos célébrations sont ouvertes aux fidèles ?

Père Justyn – Bien entendu et, surnaturellement, les temps changent. Il y a quinze ans il n’y avait que dix vieilles dames à assister à la messe dominicale chez nous, maintenant les fidèles sont 90 tous les dimanches. Et, en été, l’église est pleine avec plus de 200 personnes dont une majorité de jeunes.


Paix Liturgique - Vous êtes à 5km de l’Autriche, vos fidèles viennent-ils de ce pays ?

Père Justyn – Non, la plupart des fidèles qui viennent à l’abbaye sont des Tchèques même si il y a quelques étrangers, surtout des autrichiens et de hollandais pendant les vacances.


Paix Liturgique - Quelle est la pratique religieuse ici ?

Père Justyn – Elle est très faible. Il y a peu de gens à la messe, même à la nouvelle. C’est une région qui a été très touchée par l’athéisme et peu de gens ont des racines locales anciennes. Ce sont surtout des réfugiés issus des diverses guerres, mais cela est semblable en Autriche de l’autre côté de la frontière.


Paix Liturgique – Prenez-vous en charge des célébrations en dehors de l’abbaye ?

Père Justyn – Non cela ne nous est pas possible car nous voulons vivre le plus complètement notre vie monastique. Pour cela nous chantons au chœur l’office 7 fois par jour comme le veut la règle. Le reste du temps est occupé par la Méditation et le Travail manuel ainsi que les services (jardin, bibliothèque, lavage du linge, entretien des bâtiments,...).


Paix Liturgique - Qu’est-ce qui, pour vous, attire les fidèles dans la messe traditionnelle ?

Père Justyn – le Mysterium Fidei, le mystère, dans la messe, ainsi que l’harmonie et la paix intérieure. Cette messe a un avenir.


Paix Liturgique – Pourquoi ?

Père Justyn – Parce qu’elle a un pouvoir extraordinaire sur les jeunes et les familles du 21ème siècle. Elle a un avenir, car c’est un trésor de foi et de piété.


Paix Liturgique - quelles sont vos relations avec l’évêché ?

Père Justyn – Elles sont plutôt bonnes. L’évêque nous accepte et applique le Motu Proprio avec bienveillance. C’est même le premier et à ce jour le seul évêché de Tchéquie à avoir confié une mission et plusieurs lieux de messe à la FSSP – qui depuis a acheté une maison à Rjimov, à 25 km au nord de Vissy Brod.




Paix Liturgique - Parlez-nous de la situation actuelle de votre abbaye ?

Père Justyn – L’abbaye compte actuellement 6 moines et 3 novices. Nous accueillons désormais une à deux vocations par an mais la vie monastique cistercienne est très exigeante et la formation de nos moines assez longue (1 année de postulat, puis une année de noviciat et 3 années de profession simple avant de pouvoir prononcer des vœux solennels). C’est long et difficile et beaucoup nous quittent avant la fin de ce cycle mais cela est une garantie de stabilité pour notre avenir cistercien.


Paix Liturgique - Quel âge ont vos novices ?

Père Justyn – Ils sont jeunes, ils ont tous entre 20 et 30 ans.


Paix Liturgique - Comment sont-ils venus vers vous ?

Père Justyn – La plupart connaissaient déjà le rite ancien et ont été attirés par ce caractère de notre abbaye. Ils n’étaient pas nécessairement « tradis », même si la plupart viennent de familles culturellement catholiques. Un des moines est un converti.


Paix Liturgique - De quelle religion ?

Père Justyn – Il était athée. C’est une situation assez fréquente dans notre pays et particulièrement dans la région où nous sommes où les guerres ont déraciné et déboussolé une grande partie de la population.


Paix Liturgique – De quoi vivez-vous ?

Père Justyn – Nous vivons pauvrement et nos économies vont surtout à la restauration de l’Abbaye. Pour vivre nous avons restauré une turbine sur la rivière qui coule au pied de l’abbaye. Cela assure notre électricité et une partie est revendue. Nous vendons également du bois et du jus de pommes que nous produisons et nous tenons l’été un café qui accueille les visiteurs.


Paix Liturgique - Les touristes viennent visiter l’abbaye ?

Père Justyn – Oui l’été l’abbaye accueille plusieurs dizaines de milliers de touristes, dont environ 5000 français


Pour en savoir plus consultez le site du monastère  https://www.klastervyssibrod.cz/

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