Notre lettre 737 publiée le 17 mars 2020

12 éme COLLOQUE DU CENTRE INTERNATIONAL D’ÉTUDES LITURGIQUES A ROME


Le 20 février 2020, a eu lieu à Rome, dans le grand amphithéâtre de l’Université Augustinienne, un événement académique : la reprise des colloques du Centre International d’Études liturgiques (CIEL), qui s’étaient interrompus en 2006 sur un onzième colloque.

Il avait été précédé la veille, 19 février, par un concert privé dans la chapelle papale de l’ancien palais du Latran, San Lorenzo in Palatio, située en haut de la Scala Sancta, dite Sancta Sanctorum, où le musicologue Marcel Pérès, directeur de l’ensemble Organum, avait donné un concert spirituel avec 15 chantres bénévoles et professionnels, au programme duquel étaient une série de pièces « vieux romain » (voir notre Lettre 735, du 27 février 2020).

À l’Augustinianum, devant une soixantaine d’inscrits, dont un certain nombre de prélats et d’universitaires romains, les conférences étaient ont été données sur le thème : « La liturgie latine traditionnelle dans sa diversité ».


P. Gabriel Díaz : « La variété appréciée ou tolérée des rites liturgiques »




Le P. Gabriel Díaz, délégué général du CIEL, a ouvert les débats à propos du fait même de la diversité des rites et des usages, y compris dans la liturgie romaine. Citant le principe proposé par le philologue Baumstark, largement partagé aujourd’hui par les historiens du culte chrétien – la liturgie se développe de la multiplicité à l’unité – il a brossé une sorte d’histoire de la diversité, en s’attachant spécialement à l’hybridation romano-franque, opérée du fait de l’importation des livres romains en Gaule voulue par les Carolingiens, et à la période clé du XIIIe siècle, où dans la Ville même de Rome, les usages en certains points distincts se sont fondus dans ceux de la Chapelle papale.

Invoquant saint Augustin dans son commentaire du psaume 44, v. 10 (la Reine est vêtue d’un habit multicolore) et le liturgiste Durand de Mende, d’une part, les textes pontificaux d’autre part (Pie XII, le IVème concile de Latran, Benoît XIV, et auparavant saint Pie V qui, unifiant l’univers latin autour de la liturgie papale, prenait grand soin de préserver la vie de tous les usages de plus de 200 ans), il s’est employé à monter que la variété liturgique traditionnelle, dans la mesure où elle exprime la foi une, a toujours été considérée comme une richesse.


Mgr Juan Miguel Ferrer : « La liturgie hispano-mozarabe à Tolède »




Mgr Juan Miguel Ferrer, doyen de la cathédrale de Tolède, et aumônier pour le rite hispano-mozarabe, spécialiste majeur du rite hispanique, a fait l’histoire de la liturgie wisigothique, conservée spécialement à Tolède par les mozarabes (chrétiens vivant sous l’islam) et maintenue, au moins à Tolède, avec diverses péripéties, après la Reconquête. La fin du XIIIe siècle et le début du XIVe siècle ont même été marqués par une forte « mozarabisation » de l’Église de Tolède. Ensuite, il ne s’agira plus que de préservation dans les six paroisses mozarabes de Tolède et la chapelle mozarabe de la cathédrale, notamment grâce au cardinal Cisneros. Celui-ci a accompli au début du XVIe siècle une œuvre comparable à celle des papes tridentins : éditions savantes d’un missel et d’un bréviaire (où l’on a choisi de privilégier l’une des traditions mozarabes, celle de Séville, par rapport à celle de Tarragone-Tolède). Au XXe siècle, la liturgie mozarabe a suscité un intérêt scientifique de grande qualité, puis une réforme, après Vatican II, selon les principes de Sacrosanctum Concilium, qui a été d’un esprit assez différent de celui de la réforme du rite romain. Elle s’est associée aux efforts des archevêques de Tolède, primats d’Espagne, prélats fort « classiques », pour faire connaître ce trésor liturgique comme un des éléments importants de l’identité hispanique.

À cette conférence, Mgr Ferrer avait ajouté un tableau de la structure de l’ancienne messe mozarabe et une description de sa célébration, qui sera publié dans les Actes du colloque.


Father Seán Finnegan : « Pourquoi l’usage de Sarum ? »




La contribution du Father Seán Finnegan, professeur au séminaire St John’s à Wonersh, a porté sur cette variante du rite romain utilisé dans la plupart des îles britanniques dès l’arrivée des Normands en Angleterre, au XIe siècle, jusqu’à la réforme protestante du XVIe siècle. Le nom de Sarum vient du diocèse de Salisbury, ou Sarum, fondé par saint Osmond, en 1075. Cet usage se constitua par synthèse entre les usages locaux et ceux en vogue à Rouen. La notoriété des offices liturgiques de la cathédrale de Salisbury fit que l’usage de Sarum s’étendit sur tout le pays, en concurrence avec d’autres usages ou en se mêlant à eux. Il possédait son bréviaire, son missel, mais aussi un ordinal, un graduel, un processionnal.

Le P. Finnegan a fait ensuite une description de la messe dans cet usage. Beaucoup de ses particularités (usage du jubé, rideaux autour de l’autel, pyxide suspendue au-dessus de l’autel, acolytes revêtus de tuniques comme les sous-diacres, chantres en chape, sept diacres et sept sous-diacres du jeudi saint, baiser du livre des Évangiles par les membres du clergé) évoquent des usages fréquents dans les cathédrales françaises jusqu’à la Révolution. De même la bénédiction solennelle par l’évêque après le Pater et avant la communion, qui a longtemps subsisté dans bien des cathédrales.

La réforme protestante a eu raison de l’usage de Sarum. Une redécouverte s’opéra au XIXe siècle, grâce notamment à l’intérêt que lui portaient les anglo-catholiques (d’où une excellente édition critique des missels imprimés en 1890). Outre des célébrations anglicanes (l’usage de Sarum intéresse en fait l’ensemble du monde britannique, et aussi l’Amérique, l’Australie), quelques célébrations catholiques de messes et offices dans cet usage ont eu lieu récemment, sans qu’il ait été besoin d’aucune autorisation, puisqu’à l’évidence le missel et les autres livres de l’usage de Sarum, qui pouvaient prouver plus de 200 ans d’âge au XVIe siècle, n’ont jamais été abrogés.


Marcel Pérès : « De quoi le chant vieux romain pourrait-il être le signe ? »



Le musicologue bien connu, Marcel Pérès, directeur de l’ensemble Organum, s’est employé à faire une apologie de la tradition liturgique et de son fonctionnement sous forme de mémoire, spécialement de mémoire par le chant.

Selon lui, dans un monde qui change rapidement, tous les trente ou quarante ans, il est devenu nécessaire de revoir radicalement les stratégies en cours pour les adapter aux enjeux qui se profilent. Il s’agit notamment de comprendre et de transmettre le fait que la langue latine n’appartient pas au passé de l’Église, mais est son avenir : l’ouverture au monde, la circulation de plus en plus dense des individus, appellent le retour en force du latin comme le vecteur le plus approprié pour relever le défi de la mondialisation. Par ailleurs, après la mise en place, dans les années 1920, d’une esthétique du chant d’église liée à une unification des chants et des pratiques afin de présenter un front uni contre les violentes attaques dont le catholicisme était l’objet, vient peut-être aujourd’hui le moment d’élargir l’imaginaire liturgique des catholiques pour qu’ils se ressourcent à l’esprit des liturgies anciennes et cessent de considérer l’attention portée au patrimoine comme une entreprise rétrograde.

Après les conférences, Marcel Pérès et la quinzaine de chantres qui avaient participé au concert à San Lorenzo in Palatio la veille, ont donné un autre concert spirituel – démonstration en acte de la diversité des interprétations cantorales possibles – avec des pièces romaines et mozarabes.


Gregory Di Pipo : « Les rites de la Semaine Sainte de Pie XII »




En prenant grand soin d’éviter toute tonalité polémique dans ses propos, Gregory Di Pipo, rédacteur en chef du blog anglophone The New Liturgical Movement (NLM). G.Di Pipo s’est employé à bien distinguer les deux aspects de cette réforme de Pie XII : les raccourcissements et simplifications des cérémonies, d’une part, et d’autre part, la modification des horaires des cérémonies, replacées l’après-midi (vendredi saint), le soir (jeudi saint) ou la nuit (la vigile pascale), grâces à l’allègement à trois heure du jeûne eucharistique – qui jusque-là qui devait être total depuis minuit – contemporain de la réforme. Ces cérémonies longues et célébrées au petit matin étaient de fait désertées par les fidèles (au moins celles du vendredi saint et du samedi saint). Selon G. Di Pipo, il eût suffit, puisque la nouvelle discipline du jeûne eucharistique le permettait, de les déplacer « aux bonnes heures » pour les voir à nouveau fréquentées par les foules.

Il a longuement et précisément comparé les cérémonies dans le rituel antérieur et dans le rituel modifié. Sa matière étant très vaste, il n’a pu tout examiner, notamment la composition d’une messe chrismale spécifique pour le matin du jeudi saint (alors que l’évêque, jusque-là, bénissait les saintes huiles au sein de la messe in Cena Domini, du jeudi saint, désormais reportée le soir). Cette messe chrismale de Pie XII, à la différence des compositions/inventions de la réforme de Paul VI, est la reprise intégrale, pour les oraisons et la préface, de la missa chrismatis que l’on trouve dans le manuscrit Reginensis, témoin du sacramentaire dit Gélasien (compilation, de la moitié ou de la fin du VIIe siècle). Précisément, le très intéressant travail de Gregory Di Pipo ouvre la voie à une recherche historique approfondie sur les travaux de la Commission Piana (fondée par Pie XII en 1948) et de la Congrégation des Rites, et sur l’ensemble des articles, publications, conférences, qui ont, à l’époque, accompagné ces travaux.


Conclusion de l’abbé Claude Barthe : « Puiser dans les richesses des rites et usages latins »




Précisant qu’il ne voulait en aucune façon instrumentaliser les contributions qui avaient précédé la sienne, l’abbé Claude Barthe s’est placé dans la perspective de l’usus antiquior du rite romain pour remarquer qu’il était un rite tridentin « en apesanteur » : paradoxalement, c’est au nom d’une autorité romaine tridentine, on peut dire absolue, que Paul VI a pu abroger la liturgie tridentine ; et non moins paradoxalement, la liturgie tridentine s’est continuée, dans un premier temps… contre l’autorité romaine, qui a ensuite avalisé le maintien de son existence. L’« arrêt des pendules » pratiqué par les usagers de la liturgie traditionnelle avant le Concile, en 1962, n’est pas seulement un phénomène de réaction contre la liturgie « aggiornamentée », mais il est aussi la constatation que le phénomène de vie organique qu’a connu jadis la liturgie est devenu impossible, et cela depuis longtemps, en raison de la cassure culturelle intervenue depuis la Révolution entre l’Église et le monde moderne, spécialement dans le domaine de la liturgie, laquelle est par essence traditionnelle. 

Pour autant, cette tradition, telle que conservée aujourd’hui au milieu d’une culture qui lui est largement étrangère, mais dans laquelle elle témoigne en faveur de ce qu’on pourrait appeler une contre-culture catholique, peut parfaitement, selon l’abbé Barthe, connaître une vie et une croissance organiques. Alors que la science historique a fait des progrès considérables, et que l’on est, quand on le veut, artistiquement très respectueux du passé que l’on exhume (à la différence de ce qu’a été l’archéologisme contemporain du Mouvement liturgique), la tradition liturgique peut parfaitement connaître une vie et une croissance organiques.

Il devient ainsi possible de faire revivre tout un trésor de pièces, d’usages et de répertoires musicaux traditionnels de cathédrales et d’abbatiales. Ainsi, le musicien hongrois Laszlo Dobszay, mort en 2011, avait œuvré pour récupération de trésors oubliés de la liturgie latine hongroise. Toujours selon Claude Barthe, on ne peut pas imaginer une reconstruction ecclésiale, laquelle sera pour une part importante une reconstruction liturgique, sans que soit faite une place importante à un faisceau d’initiatives traditionnellement innovatrices. 

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