Notre lettre 784 publiée le 17 février 2021

SELON LA CEF LES CATHOLIQUES TRIDENTINS
NE SERAIENT PAS ASSEZ INTEGRES
A LA PASTORALE DIOCESAINE
A QUI LA FAUTE ?

TROISIEME VOLET DE NOTRE REACTION A LA SYNTHESE PUBLIEE PAR LA CONFERENCE DES EVEQUES DE FRANCE A PROPOS DE LA LITURGIE TRADITIONNELLE

Le motu proprio Summorum Pontificum, c’est la paix, pour démarquer le mot fameux du Prince Président ! La paix entre deux mondes de soi hétérogènes. Nous y insistions dans notre dernière Lettre (782 – 1er février 2021) : la différence entre la liturgie d’avant le Concile et la liturgie d’après le Concile porte avec elle une différence de perception ecclésiologique. C’est ainsi. Et entre les deux, le motu proprio Summorum Pontificum a instauré une coexistence pacifique.


Or, bien des évêques de France ne parviennent pas à l’accepter. Pour le dire trivialement, ils voudraient en quelque sorte le beurre et l’argent du beurre : la paix liturgique avec les traditionnels, à condition que ceux-ci abandonnent la tradition (ou pour rester dans le trivial : le produit des messes traditionnelles, sans les messes traditionnelles). D’où les plaintes répétées qui émaillent la synthèse dressée par la CEF à partir de leurs réponses au questionnaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : « Les sensibilités liturgiques prennent le pas sur la communion ecclésiale » ; « l’eucharistie qui devrait rassembler sépare » ; il y a « tension sur la pastorale sacramentelle », des « difficultés pour la catéchèse (parcours différents) ».


Grande ignorance épiscopale sur la messe traditionnelle


On peut se demander d’ailleurs si les évêques dont la CEF se fait l’interprète font vraiment effort pour comprendre ce monde qui les inquiète tant. Les remarques des évêques qu’elle rapporte manifestent une méconnaissance souvent méprisante, sûre d’elle, cléricale en un mot. Ainsi ce jugement péremptoire sur la liturgie traditionnelle : « Elle affaiblit la dimension communautaire de la célébration », jugement qui suppose en fait une conception de la dimension communautaire calquée sur celle des rassemblements festifs profanes, qui confond la participation avec le bruit et la fureur. Or, quoi de plus puissamment communautaire qu’une messe tridentine, où prêtre et assistants sont engagés dans une procession statique vers l’Orient christique, et communient sensiblement, sans l’obstacle d’un face à face entre soi, avec toute l’Église de la terre, du ciel et du purgatoire !

Ou bien encore ces remarques aussi désobligeantes que fausses : « La formation liturgique de ces communautés est rituelle et non pas théologique » ; « pour beaucoup de fidèles pratiquant en forme extraordinaire, la vie chrétienne se résume à la pratique dominicale sans autre formation spirituelle ou théologique ». Elles montrent une étrange ignorance de la catéchèse liturgique déployée par les prêtres desservants les messes traditionnelles, des livres et des revues que lisent les fidèles, de la formation catécho-cultuelle que reçoivent les enfants dans les écoles où cette messe est célébrée. Sans aucun doute possible, la majorité des fidèles de la liturgie ordinaire sont beaucoup moins concernés par la signification du culte qu’ils pratiquent que ceux de la liturgie extraordinaire, qui sont, pour leur part, au plus haut point concernés par ce trésor qu’ils aiment, obtenu et conservé au prix de mille difficultés.

Enfin, comme un refrain, revient dans le document de la CEF cette plainte sur le thème qui explique l’amertume des évêques : ces gens-là ne sont pas conciliaires. « On aurait pu espérer qu’un dialogue s’ouvre sur l’adhésion de fond à l’enseignement conciliaire » : dialogue sur l’adhésion…


Des groupes qui s’enferment ou qu’on enferme ?


« Le constat global, dit la CEF, est que nous observons deux mondes qui ne se rencontrent pas ». Elle parle encore de « groupe en milieu fermé, isolé », de « communauté à part, entre soi », marquée par le « subjectivisme » et l’« individualisme ». « L’enjeu est de maintenir et de nourrir une pleine communion de certaines communautés avec l’Église catholique ».

Milieu isolé ? Comment en serait-il autrement dans la mesure où les célébrations traditionnelles sont cantonnées à des églises et chapelles marginales, parfois situées hors de la ville, et qui, si elles sont accueillies dans l’église principale, ont lieu à des horaires dont personne ne veut ?

En revanche, l’expérience prouve que lorsque le curé fait l’effort d’accueillir les paroissiens traditionnels comme des gens normaux, dans son église principale, à des heures convenables, les bons rapports s’établissent tout naturellement avec les autres paroissiens. Il est vrai que grand est le « risque » que les paroissiens de la liturgie ordinaire prennent aussi l’habitude de fréquenter la messe en forme extraordinaire. Le fameux « enrichissement mutuel » s’applique dans le fait que la forme la plus riche attire tout naturellement un certain nombre de catholiques qui ne la connaissaient pas et qui la découvrent avec bonheur. 

En vérité, c’est ce regard suspicieux d’un certain nombre de pasteurs sur une catégorie considérée comme moins catholique qui dresse des murs psychologiques autour d’eux et les enferme dans des ghettos virtuels, emprisonnement dont ces mêmes pasteurs font ensuite un crime à ces « catholiques en marge du diocèse » qui le subissent.

Prétendent-ils que les catholiques des divers rites orientaux, arméniens, maronites, etc., bien plus différents dans leurs coutumes, leurs liturgies, voire leur calendriers que les catholiques traditionnels, forment « un monde à part », « une Église parallèle » ? Leur critique du monde de la FERR est évidemment idéologique.


Une trop faible participation de la FERR à la pastorale diocésaine ? Il ne tient qu’aux évêques à l’élargir


Et puis pour la CEF, c’est réglé : la FERR a une « faible dimension missionnaire » ! La liturgie conciliaire aurait donc une forte dimension missionnaire ? Ce serait risible si ce n’était pas dramatique : la forme ordinaire connaît une hémorragie comme jamais on n’en a vu dans l’histoire de l’Église et que rien ne semble pouvoir arrêter. Au contraire, les assemblées de la FERR sont en augmentation régulière ; on n’y connaît pas la fermeture d’églises faute de prêtres ; les fidèles qui y participent sont très nettement plus jeunes, comme le reconnaît d’ailleurs le document pour s’en étonner douloureusement ; et les vocations y fleurissent en proportion incomparablement plus grande.

La synthèse déplore à propos des traditionnels : « pas de participation à la vie diocésaine ; difficultés à les associer aux célébrations diocésaines ». Et encore : « La FSSP pourrait également déployer son zèle vis-à-vis d’autres personnes que vis-à-vis de communautés célébrant en forme extraordinaire ». Et elle ajoute : « Il importe de rendre sensibles les prêtres des instituts Ecclesia Dei aux besoins du peuple de Dieu plus qu’à des questions de sensibilité personnelle. »

C’est tout de même un peu fort Messeigneurs ! Sachez que les prêtres des instituts Ecclesia Dei ne demandent pas mieux qu’on leur confie des apostolats. Quelques-uns d’entre vous leur ont d’ailleurs confié des aumôneries d’hôpitaux, de maisons de retraite, une pastorale des défunts, voire dans certains cas – très rares – de lycées. Cela reste des piécettes qu’on jette à des mendiants. Que vous coûterait-il, Chers Pères Évêques, de leur confier des secteurs ruraux de vos diocèses, désormais abandonnés, qui retrouveraient la vie cultuelle au rythme de la messe traditionnelle ? Mieux vaut la messe de saint Pie V que pas de messe du tout, ne croyez-vous pas ? Rien n’interdisant qu’on y habitue les assistants par degrés, et avec pédagogie.

« L’attitude de certains prêtres d’instituts extérieurs pèse parfois sur la communion et la vie fraternelle dans le diocèse », dit aussi la CEF. L’expérience prouve au contraire largement que les rapports sont bons et la sympathie réciproque entre prêtres du cru et prêtres de communautés Ecclesia Dei.

Ces prêtres ne sont au reste que des supplétifs : leurs communautés n’ont été créées que dans le but d’assurer un service qui sans cela aurait disparu. On aimerait bien que les évêques prennent au sérieux cette autre remarque qu’ils font dans la synthèse : « La formation de quelques prêtres diocésains à la FERR pourrait permettre de répondre aux diverses demandes sans faire appel à d’autres instituts et contribuer également à l’unité diocésaine ». Nous le disions dans la Lettre précédente : nous regrettons plus vivement encore que les évêques de France qu’ils n’aient pas assez de prêtres diocésains pour que certains, plus nombreux qu’aujourd’hui, puissent se consacrer à ce ministère. Et nous remarquions que, malheureusement, la plupart des évêques n’y tiennent pas vraiment, car lorsque des prêtres du diocèse célèbrent la FERR, l’intégration de celle-ci au paysage est beaucoup plus facile.

Les évêques regrettent également, selon la CEF, qu’il y ait « impossibilité d’organiser des temps de prière communs (vêpres ou adoration) », que « le refus de la concélébration » soit « parmi les principales difficultés » ; qu’il soit difficile d’associer les fidèles de la forme extraordinaire à des pèlerinages, cérémonies.

Passons sur le fait que la concélébration, y compris le Jeudi Saint, ne saurait être obligatoire (canon 902). Rien n’empêche, comme le fait d’ailleurs tel évêque, de prévoir dans les pèlerinages diocésains des célébrations traditionnelles pour ceux qui veulent y participer. Les évêques ne pourraient-ils pas être un peu plus audacieux ? Célébrer, de temps à autre, une messe d’intérêt diocésain en forme traditionnelle ? Car l’exigence de communion n’est pas à sens unique.


La pierre de touche des séminaires


L’instruction Universæ Ecclesiæ du 30 avril 2011, texte d’application du motu proprio Summorum Pontificum, portait en son n. 21 cette disposition : « On demande aux Ordinaires d’offrir au clergé la possibilité d’acquérir une préparation adéquate aux célébrations dans la forme extraordinaire. Cela vaut également pour les séminaires, où l’on devra pourvoir à la formation convenable des futurs prêtres par l’étude du latin, et, si les exigences pastorales le suggèrent, offrir la possibilité d’apprendre la forme extraordinaire du rite ».

La synthèse de la CEF nous apprend que seuls trois diocèses de France ont estimé que les exigences pastorales suggéraient cette formation pour les séminaristes : Bayonne, Toulon et Versailles. Ailleurs, est-il dit, « certains séminaristes se forment par eux-mêmes, par leur propre réseau ou à la faveur de séjours dans des communautés religieuses célébrant en forme extraordinaire ; d’autres profitent de leurs vacances pour se familiariser avec la FERR ».

Le principe de réalité ne devrait-il pas cependant faire se poser de sérieuses questions aux évêques de France ? Alors que la situation des séminaires diocésains ou interdiocésains n’a jamais été aussi alarmante, des signes encourageant existent pourtant :

- Dans les trois séminaires susdits, qui ont un recrutement convenable, particulièrement celui de Toulon qui fait jeu égal, et même mieux, avec le séminaire de Paris.

- Dans le séminaire de la Communauté Saint-Martin, qui présente des chiffres d’ordinations annuels en étonnante croissance.

- Et dans les séminaires des instituts traditionnels, FSSPX comprise, qui affichent une excellente santé.

Les évêques ne pourraient-il pas en tirer des leçons pour leurs séminaires ? Au minimum, le classicisme d’Évron (Cté Saint-Martin) devrait faire des émules : soutanes possibles, formation thomiste, célébrations des messes de communauté face au Seigneur. Et mieux encore, une place officielle à la formation pour la FERR devrait partout exister. 

Étrangement, la CEF glisse cette remarque plaintive : « Rares sont les diocèses ou l’évêque est sollicité pour des ordinations ; seul l’évêque de Fréjus-Toulon célèbre chaque année des ordinations dans la forme extraordinaire ». Cela est rare, en effet, parce qu’il n’y a qu’une ou deux cérémonies d’ordinations par an dans les instituts traditionnels, et qu’elles ont lieu peu fréquemment en France. Mais quand elles se déroulent en France, sont aussi sollicités des évêques diocésains. Quant à l’évêque de Fréjus-Toulon, s’il est le seul à célébrer chaque année des ordinations dans la forme extraordinaire, c’est qu’il est le seul à former des séminaristes destinés à célébrer comme prêtres selon la forme traditionnelle.

Ici encore, on ne peut que dire aux évêques de France : il ne tient qu’à vous… L’expérience avortée de la Maison Sainte-Blandine à Lyon, à laquelle fait allusion la synthèse de la CEF, montre bien que ne suffisent pas des demi-mesures (ou des 1/7ème de mesure, puisqu’en l’espèce n’était prévue qu’une seule année comportant la messe traditionnelle, celle de propédeutique, les séminaristes étant ensuite réduits au régime sec de la messe ordinaire).

Il faudrait en tout cela un minimum d’audace pastorale. Ce ne semble pas être la note dominante dans l’Église de France.


***


Oui, de l’audace ! Car enfin, 50 ans après Vatican II, concile qui a voulu mettre l’œcuménisme au cœur de la vie de l’Église, pourquoi ces petits pas vers les FERR, qu’on pourrait qualifier d’œcuménique, coûte-t-il tant à nos évêques ? Peut-être parce qu’il est un pas réel, concret. L’œcuménisme avec les protestants et les orthodoxes est au point mort, on le sait, et en tout cas n’a donné aucune avancée véritable pour le retour des séparés à la communion ecclésiale. Dans le cas des usagers de la messe traditionnelle, les efforts de communion seraient normalement beaucoup plus faciles à accomplir puisqu’ils s’adressent à des chrétiens déjà catholiques (y compris les membres de la FSSPX, n’en déplaise à la CEF qui dit d’eux qu’ils sont « hors de l’Église », et qui conviendra tout de même qu’ils sont très proches, puisque leurs évêques ne sont plus excommuniés, et qu’ils reçoivent des pouvoirs de confesser et de marier).

On nous a dit et répété qu’il fallait, dans une perspective œcuménique, se décentrer, accueillir l’autre tel qu’il est, reconnaître les richesses qui avaient été perdues à l’occasion de ruptures, etc. Est-ce donc si difficile aux évêques de France de faire tout cela réellement, dans un domaine où c’est chose concrètement faisable ?

Force est de constater que le document de la CEF ne va pas dans ce sens de pacification des cœurs. Pour le dire autrement : on attend de l’épiscopat français qu’il cesse de dresser des murs autour du catholicisme extraordinaire, et qu’il établisse au contraire des ponts entre le catholicisme ordinaire et le catholicisme extraordinaire.


Cliquez sur l'image ci-dessus pour télécharger la

Synthèse des résultats de la Consultation sur l'application

du Motu proprio Summorum Pontificum

demandée par la Congrégation pour la doctrine de la foi en avril 2020

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