Notre lettre 785 publiée le 23 février 2021
L'AFRIQUE OUVERTE A LA LITURGIE TRADITIONNELLE
UN TEMOIGNAGE PASSIONNANT VENU DU KENYA
Nous avons eu l’occasion de le signaler à plusieurs reprises, et notamment dans notre Lettre 678, l’Afrique est un continent très prometteur pour le développement de la messe traditionnelle. « L’Afrique, disions-nous, est sans doute le continent le moins touché par le phénomène de la messe traditionnelle, bien que la liste des pays où elle est célébrée ne soit pas négligeable. [… Mais] les demandes, sinon importantes mais en tout cas nombreuses, laissent penser que d’ici 20 ans toute l’Afrique sera concernée par la liturgie traditionnelle. »
Mais voici que nous avons eu la chance de rencontrer il y a quelques semaines le père Jean, un prêtre du Kenya qui termine sa thèse de Théologie en Europe et qui nous a étonnés par son amour et son enthousiasme envers la liturgie traditionnelle de l’Eglise latine. Nous lui avons demandé de nous parler de celle-ci qu’il a découvert il y a déjà plusieurs années et dont il a expérimenté la célébration auprès de fidèles de son pays. Il a eu plusieurs fois l’occasion de parler de celle-ci avec son évêque qui l’a encouragé à poursuivre dans cette voie tout en gardant une certaine prudence, d’où son anonymat, cette expérience n’étant pas du goût de tous parmi les prêtres du presbyterium local et au sein de la conférence épiscopale nationale
Paix liturgique : Comment présenteriez-vous la liturgie traditionnelle ?
Père Jean : Comme je vous l’ai dit lors de notre première rencontre elle est d’abord pour nous apaisante, presque au sens étymologique car elle génère chez nous la paix.
L’usage du latin nous permet de repousser les permanentes rivalités linguistiques qui existent dans nos pays d’Afrique – pensez simplement que chez nous au Kenya il y a plus de 70 langues vivantes communément utilisés ! – de ce fait le choix d’une langue dans la liturgie est toujours perçu par les autres locuteurs comme une emprise des uns sur les autres et cela génère plus de conflits que vous pouvez imaginer.
Paix liturgique : C’est pour cela que vous utilisez surtout l’anglais dans les liturgies modernes…
Père Jean : c’est effectivement souvent le cas ou bien le swahili, mais cela ne résout pas tous les obstacles car qu’on le veuille ou non l’utilisation de l’anglais est perçu par certain comme l’adoption d’une langue étrangère et parfois même comme celle des colonisateurs… et cela est vrai partout en Afrique. J’ai des amis au Burundi, dans l’Afrique francophone, qui ressentent la même difficulté cette fois-ci vis-à-vis du français et je connais même des égyptiens qui renâclent à utiliser l’arabe dans leur liturgie alors que le latin, langue d’aucun pays d’aujourd’hui, d’aucun conquérant moderne est perçue comme une des langues de Dieu…
Paix liturgique : Mais il existe d’autres langues de Dieu !
Père jean : Tout à fait, car Dieu est grand et Bon, aussi sait-il nous écouter dans des langues multiples qui correspondent à nos histoires et à nos traditions. Je parlais de mes amis égyptiens qui souhaitent rendre sa place à la langue de Dieu qu’est le Copte, et nos frères orthodoxes aiment prier en utilisant le vieux grec liturgique. Mais vous savez c’est aussi ce que font les juifs en utilisant l’hébreu et l’araméen ancien dans leurs synagogues ou les musulmans en priant avec un vieil arabe qui n’est plus celui de tel ou tel pays d’aujourd’hui.
Mais pour en revenir au latin, le fait que la liturgie traditionnelle utilise ordinairement cette langue, hormis pour les prédications et les lectures bien sûr, apporte un apaisement considérable dont les Africains apprécient profondément
Paix liturgique : Mais n’y a –t-il pas un problème de compréhension dans des pays ou la connaissance du latin est plutôt faible ?
Père Jean : C’est bien vrai, mais elle n’est pas plus difficile qu’avec le swahili que tous les Kenyans ne connaissent… que d’une manière superficielle et dont l’immense majorité de connait pas les nuances… C’est également le cas avec l’anglais, dont la connaissance est souvent plus que sommaire. Alors qu’avec le latin le rapport est différent. Si celui-ci est perçu comme la langue de Dieu, il s’associe au mystère et au silence qui font eux aussi parti pleinement de la liturgie traditionnelle
Mais il ne faudrait pas non plus considérer les Africains pour des ânes ! Et beaucoup, des étudiants surtout, sont parfaitement capables de faire quelques efforts et de comprendre assez vite le sens de la liturgie en latin parfois encore mieux qu’en anglais ou en swahéli, car les mots y ont un sens fixé même figé, bien plus que dans une langue vernaculaire en mouvement permanents. Je ne sais pas si vous avez déjà parlé avec des Africains anglophones ou francophones et si c’est le cas vous avez pu constater que leur anglais ou leur français n’est pas exactement le vôtre alors que la latin liturgique est partout le même pour tous … et n’oubliez pas que pour ceux qui veulent approfondir il existe des missels bilingues, notamment sur Internet, qui rendent la compréhension très facile car, j’y insiste, la liturgie traditionnelle est stable et permanente ce qui n’est pas toujours le cas de la liturgie « conciliaire »
Paix liturgique : Pouvez-vous précisez cette idée ?
Père Jean : C’est très simple et la plupart d’entre vous me comprendront. Dans la liturgie postconciliaire la part « rituelle » et fixe est ridiculement réduite alors que la partie « parole », permettez-moi de dire le « bla-bla », y est extrêmement important. Aussi plus les paroles sont abondantes plus la compréhension sera difficile pour les non-locuteurs et dans une moindre mesure aussi pour les locuteurs « pauvres » n’ayant une connaissance superficielle de la langue, alors que le latin par sa stabilité et le caractère répétitif de la liturgie rend après un premier effort la compréhension beaucoup plus facile. Les premiers missionnaires qui sont venus nous apporter l’Évangile il y a un ou deux siècles comprirent tout à fait cela et les liturgies qu’ils célébraient en latin ne posèrent pas de problème, surtout si celle-ci s’intégraient dans une pastorale cohérente avec le catéchisme, les prédications et les écoles …
Paix liturgique : Vous êtes optimiste.
Père Jean : Je suis surtout réaliste ! Vous ignorez qu’il existe chez nous des Africains qui connaissent peut-être aujourd’hui le latin mieux que la plupart des Européens ! quand je lis la presse occidentale catholique j’y lis régulièrement qu’en Occident moins de 10% des prêtres de chez vous connaissent ne serait-ce qu’un rudiment de latin … et vous savez comme moi que les fidèles qui sont attachés à la liturgie traditionnelle ne sont pas tous des érudits… mais cela ne change rien car chez vous comme en Afrique les fidèles savent lire et écrire, utiliser un missel au moins électronique et souhaitent par-dessus tous rester fidèles à leur aïeux à leur culture et à la beauté liturgique et à leur foi bien plus que de vouloir devenir des latinistes
Mais ne nous étendons pas plus sur le latin car à mon sens le point capital de l’importance et de l’attrait envers la liturgie traditionnelle se situe plus qu’en raison du latin à un autre niveau celui du silence…
Paix liturgique : Mais l’on nous dit si souvent que les Africains sont des actifs qui vivent en rythme …
Père Jean : Vous savez on dit chez vous beaucoup de bêtises… Car ce que nous aimons nous les Africains, c’est par-dessus tout le silence ! Oh, je sais que pour vous nous aimerions le bruit et la musique rythmée, mais cela n’est pas exact ou du moins très exagéré et même selon moi tout à fait caricatural. Je dirais même un brin raciste car avant tout les Africains aiment le silence et d’une certaine manière la contemplation car cela est inhérent à l’âme africaine(1)… Or c’est exactement ce qu’ils découvrent et apprécient dans la liturgie traditionnelle qui est avant tout une liturgie contemplative ou en silence l’on se retrouve agenouillé devant le Dieu tout puissant et cela, j’y insiste, est profondément ancré dans l’âme africaine
Paix liturgique : Vous avez évoqué il y a un instant la fidélité à la foi
Père Jean : Car c’est essentiel pour un chrétien ! Nous savons qu’il y a eu tout au long de l’histoire de l’Église des martyrs, des femmes et des hommes et même des enfants qui sont morts pour continuer à rester fidèles à Jésus, et cela est encore vrai aujourd’hui un peu partout. Vous connaissez les horreurs qui se déroulent au Pakistan où certaines personnes sont persécutées pour leur foi en Jésus-Christ, mais cela existe aussi en Afrique, au Nigeria bien sûr, mais aussi dans de nombreux, de très nombreux autres pays du continent. Alors pour nous, comme pour vous je l’espère, la foi en Jésus-Christ n’est pas un vain mot et, lorsque nous nous retrouvons face au Seigneur, nos souhaitons que cela se fasse en cohérence et en conformité avec ce que nous croyons profondément
Paix liturgique : Et vous retrouvez cela dans la liturgie traditionnelle ?
Père Jean : Bien évidement et c’est pour cela que j’y suis attaché. Avant je me sentais mal à l’aise, souvent en contradiction avec ce que je vivais même en célébrant ma messe mais, depuis que j’ai rencontré la liturgie traditionnelle, je me sens réconcilié avec moi-même. Certes, j’avais eu de brèves rencontre avec le sacré notamment avec des orthodoxes lors d’un déplacement en Égypte et même quelques fois en Occident en visitant des monastères contemplatifs, mais tous cela me semblait lointain, inaccessible ou tout simplement étranger à ma vie de tous les jours, alors que vivre sa foi en harmonie avec la liturgie latine traditionnelle fut pour moi comme une révélation, une rédemption dirais-je même. Voilà pourquoi désormais j’y suis tant attaché et voilà pourquoi je ne souhaite pas revenir en arrière. D’ailleurs lorsque je me suis ouvert de cela à mon évêque, j’ai été très heureux de le voir sourire et m’encourager à poursuivre dans cette voie.
Paix liturgique : Avez-vous réussi à faire partager cet enthousiasme autour de vous ?
Père Jean : Je vais vous étonner. Cette situation était pour moi si étrange, si personnelle que je n’ai pas souhaité en rajouter, mais comme on dit chez vous « chassez le naturel il revient au galop ». Ce sont les fidèles qui m’ont rattrapé et m’ont aidé à poursuivre. Ainsi au début je célébrais, non pas en cachette, mais très discrètement, sans faire de publicité ni de bruit, mais petit à petit vinrent à ma messe deux puis trois fidèles et aujourd’hui ils sont plus de trente qui se réunissent autour de moi lorsque je suis au pays.
Paix liturgique : Comment expliquez-vous cela ?
Père Jean : Je ne suis pas sûr de moi, mais je pense que ces fidèles d’abord des femmes puis des étudiants, ont eu la même révélation que moi de la cohérence de cette liturgie avec nous-même et notre foi.
Je me rappelle un étudiant en droit qui m’a dit il y a quelques mois « en assistant à votre messe je suis en silence à genoux devant le Christ en Croix à qui je viens présenter mes faiblesses. » Je n’ai pas su quoi ajouter.
Paix liturgique : Parce que c’est également une liturgie d’adoration ?
Père Jean : Parfaitement et je ne vois pas de différence ontologique entre ma célébration des saints mystères et les adorations eucharistiques que j’organise lorsque cela est possible, et cette affirmation n’est pas seulement la mienne mais celle de ceux qui, de plus en plus nombreux, viennent s’y ressourcer et s’y purifier. D’ailleurs je manquerai gravement à la vérité si j’omettais de dire que l’un des fruits les plus beaux que j’ai recueillis à l’occasion de ces célébrations est le retour de tous ces fidèles à la confession de leurs fautes avant même que je me sois mis à les inviter.
Oui cette liturgie est priante et belle et je remercie le ciel de l’avoir rencontré
Paix liturgique : Cet usage est donc missionnaire.
Père Jean : Ce que je viens de vous dire en est la preuve. Lorsque les témoins de Jéhovah ou les évangélistes font du porte à porte, ils font beaucoup de bruit et agitent beaucoup d’argent, alors que la sainte liturgie ne fait pas de bruit mais fait du bien et aide à avancer vers le mieux et, qui sait ? un jour vers la sainteté. En cela cette liturgie est éminemment missionnaire et je pense que c’est elle qu’attendent des millions d’Africains qui sont autant désemparés que le sont les Européens d’aujourd’hui, car en rencontrant la liturgie traditionnelle c’est la paix et la sérénité qu’ils trouvent. Et cela va attirer de plus en plus d’Africains.
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1. On ne peut pas ne pas évoquer le beau livre du cardinal Robert Sarah, La force du silence, Fayard, 2017.