Notre lettre 792 publiée le 13 avril 2021

LA VIE RELIGIEUSE TRADITIONNELLE AUX ETATS-UNIS

SIXIEME VOLET DE NOTRE ENQUETE SUR LA TRADITION CATHOLIQUE AUX USA

 

Paix Liturgique : Cher Daniel, merci de nous parler aujourd’hui de la vie religieuse traditionnelle aux Etats-Unis.

Daniel Hamiche : Je vais en effet essayer de vous brosser un panorama de la vie religieuse traditionnelle aux USA et vous verrez que cela n’est pas une mince affaire. Cependant, comme je vous le propose, lors de chacun de nos entretiens je me crois obligé de vous présenter l’histoire et le contexte dans lequel je dois évoquer cette question. De plus, je pense qu’il me faudra scinder le monde religieux féminin du monde religieux masculin pour vous faire bien comprendre la situation actuelle.


Paix Liturgique : Alors, cher ami, parlez-nous des congrégations religieuses féminines.

Daniel Hamiche : Elles ont, aux États-Unis, une histoire très ancienne, que j’ai superficiellement évoquée lors de mon premier entretien. Mais pour vous donner un exemple je vais vous rappeler le rôle des congrégations françaises dans la naissance de la vie religieuse féminine aux Etats-Unis. Pour commencer je dois vous dire que ce rôle est si important que l’histoire des missions féminines françaises en Amérique reste à écrire.


Paix Liturgique : C’est-à-dire que nous n’en savons rien ?

Daniel Hamiche : Nous en savons trop ! Ainsi, lorsqu’en 1988 le pape Jean-Paul II décida la canonisation de Philippine Duchesne,


la religieuse qui fonda en 1818 le premier couvent du Sacré-Cœur aux Etats-Unis, beaucoup de chercheurs se mirent à scruter ce qu’avait été le rôle des congrégations féminines françaises. Ils n’y parvinrent pas exactement mais conclurent leurs recherches en constatant qu’en 1988 il existait encore 56 congrégations françaises toujours vivantes en France qui avaient des maisons aux États-Unis.


Paix Liturgique : C’est considérable.

Daniel Hamiche : D’autant que ces congrégations réunissaient à ce moment-là, c’est-à-dire en 1988, environ 10 000 religieuses aux USA


Paix Liturgique : Mais n’y-eu-t-il que des fondations françaises ?

Daniel Hamiche : Point du tout car, si les congrégations françaises furent le premières et sans doute les plus nombreuses, elles ont été suivies ensuite par de nombreuses congrégations européennes venues d’Italie, d’Allemagne, de Pologne et d’Irlande et d’autres pays encore, ce qui explique que le tissu des maisons religieuses féminines en Amérique est extrêmement important.


Paix Liturgique : Avons-nous une idée de leur nombre total ?

Daniel Hamiche : On a parlé pour les premières années du XXème siècle d’un nombre de plus de 100 000 religieuses catholiques aux Etats-Unis. Je ne sais s’il est exact mais j’ai tendance à le croire car plus récemment, en 2009, lorsque le monde des religieuses américaines a traversé une crise grave il semblait certain que celles-ci étaient encore un peu moins que 60 000 !


Paix Liturgique : Ce qui est bien sûr encore énorme !

Daniel Hamiche : Certes, tout en se souvenant qu’on est à l’échelle des États-Unis. Ce rappel nous donne une première indication, celle que la vie religieuse féminine a toujours été vivante dans la tradition de l’Amérique catholique même si cette tradition traverse aujourd’hui une crise et une mutation très profonde.


Paix Liturgique : Qu’entendez-vous par là ?

Daniel Hamiche : Une étude américaine, reprise par La Croix en 2010, relevait qu’en 2009 les religieuses américaines âgées de plus de 90 ans étaient plus nombreuses que celles qui avaient moins de 60 ans.


Paix Liturgique : Un des fruits du Concile…

Daniel Hamiche : Certainement, car si on peut conclure des principes de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux qu’on peut faire leur salut en dehors de l’Eglise il n’est plus nécessaire de consacrer sa vie à œuvrer et prier pour faire de nouveaux catholiques, qui seuls seraient dans le chemin du salut (souvenez-vous de sainte Thérèse d’Avila qui veut que son carmel se consacre à la conversion des malheureux protestants qui se damnent !). A quoi, il faut ajouter le poids de la sécularisation. Tout cela amena aux États-Unis comme ailleurs un effondrement des vocations féminines (et masculines !)  dans des maisons qui en quelques sorte n’en avaient plus besoin.


Paix Liturgique : C’était donc la fin du monde des religieuses américaines ?

Daniel Hamiche : Point du tout ! Car si les congrégations soumises à l’esprit de Vatican II s’effondrèrent, et d’ailleurs continuent de s’effondrer, les âmes généreuses ont continué à exister dans le catholicisme épargné par l’esprit du Concile, ce qui eut pour conséquence une éclosion extraordinaire de maisons religieuses traditionnelles.


Paix Liturgique : Car il existe des maisons religieuses traditionnelles aux USA ?

Daniel Hamiche : Cher ami, on affirmait en plaisantant il y a un siècle que même Notre-Seigneur ne connaissait pas le nom de toutes les congrégations féminines pour illustrer qu’elles étaient très nombreuses. Et bien pour ma part je ne suis pas certain de connaitre toutes les maisons traditionnelles américaines mais je vais pourtant m’essayer à vous en faire un bref tableau. Je vais d’abord évoquer les carmélites : elles forment aujourd’hui aux États-Unis un maillage important qui est sans doute la raison la plus profonde du réveil traditionnel en Amérique.


Paix Liturgique : Forment-elles un groupe homogène ?

Daniel Hamiche : Non, il y a d’abord eu à Valparaiso dans le Nebraska un carmel de Jésus, Marie et Joseph qui est à l’origine de trois autres carmels (ceux de Elysburg , de Fairfield et de Philadelphie ) mais il y a aussi à Buffalo le carmel de la Petite Fleur de Jésus qui fut fondé par Mère Marie-Elias, une rescapée des pelotons d’exécution mexicains, une fondation qu’elle dédia à Sainte-Thérèse de l’enfant Jésus. Ce carmel a lui-même essaimé par la fondation du carmel de Traverse City dans le Michigan. Mais il y a aussi le carmel de Spokane qui lui appartient à l’univers Saint-Pie-X et aussi le carmel des sacrés cœurs à Konosha dans le Colorado, qui appartient lui au monde des indépendants.


Paix Liturgique : Seulement des carmélites donc…

Daniel Hamiche : Mais non car il y a aussi des bénédictines avec en particulier l’abbaye de Marie-Reine-des-Apôtres à Grower dans le Kansas mais aussi les «  Filiae Laboris Mariae »xxx dans le diocèse de Minneapolis qui furent fondées par une ancienne secrétaire du cardinal Burke, la sœur Regina, et aussi des adoratrices du cœur-royal de Jésus-Christ-Souverain-Prêtre qui ont une maison à Wassau  


Paix Liturgique : Et dans l’orbite Saint-Pie-X ?

Daniel Hamiche : Elles sont très nombreuses également : il s’y trouve bien sur les sœurs de la Fraternité Saint-Pie-X mais aussi leurs oblates et aussi les dominicaines de Post-Fall et les sœurs franciscaines du Christ-Roi .


Paix Liturgique : Les mouvements indépendants et « en marge » ont-ils également des maisons religieuses ?

Daniel Hamiche : Tout à fait, mais je manque d’information à leur sujet tout en sachant qu’elles sont aussi très nombreuses.


Paix Liturgique : Et dans le monde du bi-formalisme ?

Daniel Hamiche : Il y en a, et leur histoire est assez proche de celle que j’évoquais lors de notre précèdent entretien au sujet des prêtres diocésains. C’est-à-dire que ce sont pour la plupart des maisons fondées dans un esprit très classique, surtout celles dont la fondation remonte au pontificat de Jean-Paul II ou de Benoît XVI, lesquelles, petit à petit, donnent une part parfois importante à la liturgie traditionnelle. Dans cet univers je pourrais citer le carmel du Saint-Esprit de Denver , dles filles e la Vierge Marie et aussi les sœurs mariales de Santa-Rosa . Inutile de dire que dans toutes les maisons dont je viens de parler la moyenne d’âge des sœurs est très jeune et par contraste fait mesurer l’effondrement de la vie religieuse que traverse le monde ordinaire 50 ans après Vatican II.

En effet, la vie catholique invite les âmes d’élite à la perfection qu’elles trouvent particulièrement dans la vie religieuse mais lorsque les congrégations n’ont plus prétendu désirer vivre de cette perfection chrétienne, les âmes appelées les ont négligées et, grâce à Dieu, la Providence leur a permis à un certain nombre d’entre elles de trouver ailleurs dans des communautés naissantes de nouveaux lieux pour y épanouir leurs vocations à la perfection.


Paix Liturgique : Et les congrégations masculines ?

Daniel Hamiche : Elles sont moins nombreuses, mais particulièrement dynamique et diverses : j’entends par-là que la plupart des grandes familles religieuses y sont représentées et en premiers lieux les bénédictins.


Paix Liturgique : Avec l’abbaye de Clear Creek

Daniel Hamiche : Tout à fait car celle-ci est la mieux connue des Français car elle est une fondation de l’Abbaye de Notre-Dame de Fontgombault, qui fut élevée au rang d’abbaye en 2010. L’histoire de cette fondation est d’ailleurs un vrai résumé de la tradition en Amérique dont voici les grandes lignes : au cours des années 1970, quelques étudiants de l’université du Kansas se convertissent au catholicisme à la suite de cours sur la tradition donnés par le professeur John Senior. Désirant suivre la vie monastique traditionnelle, ils partent en Europe et entrent à  Fontgombault dans  l'espoir de pouvoir fonder un jour un monastère aux États-Unis. En 1998 à la suite de la proposition de l'évêque du diocèse de Tulsa, le père abbé de Fontgombault, Dom Antoine Forgeot, décide d'y fonder une abbaye. Les treize moines fondateurs – huit américains, trois français et deux canadiens  – s'installent quelque temps après à Clear Creek, dans l’Oklahoma ils entreprennent la construction du monastère. Leur effectif croît relativement rapidement, puisqu'ils deviennent 22 en 2003 et 33 en 2010. C’est à ce moment que cette fondation est érigée en abbaye, qui est d’ailleurs la seconde maison de la congrégation aux États-Unis, après le monastère de Westfiel  dans le Vermont qui accueille des moniales. Mais il y d’autres maisons de bénédictins notamment ceux proches de la Fraternité Saint-Pie-X à Silver City au Nouveau Mexique.


Paix Liturgique : Et d’autres encore ?

Daniel Hamiche : Oui, des carmes bien entendu qui répondent à l’important nombre de carmels féminins dont je vous ai parlé. Ils s’en trouvent dans le Wyoming ou se trouvent Moines Carmes du monastère du Cœur Immaculé de Marie   ainsi qu’en Pennsylvanie où se développent les ermites du Mont-carmel . Mais il y a aussi les frères mineurs mariaux   à qui ont poursuivi en quelque sorte la vocation franciscaine des franciscains de l’Immaculée mais aussi les missionnaires de Saint-Jean-Baptiste de Covington dans le Kentucky. D’ailleurs, dans les deux cas il s’agit d’une version traditionnelle de la congrégation des Pères de la Miséricorde qui avait été fondé à Lyon en 1808.


Paix Liturgique : Vous avez fait le tour complet ?

Daniel Hamiche : Certainement pas, et je suis certain d’en avoir oublié plus d’un mais je voulais surtout vous faire mesurer ce qu’est le renouveau religieux traditionnel aux États-Unis. Voilà pourquoi, pour conclure, je ne peux oublier les prémontrés de Silverado qui, quoique bi-formalistes, évoluent de plus en plus vers la liturgie traditionnelle norbertine (un usage particulier du rite romain traditionnel), une preuve de leur dynamisme étant le succès de leur fondation féminine le prieuré de Tehachapi qui réunit actuellement plus de 40 chanoinesses.

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