Notre lettre 796 publiée le 10 mai 2021

ENTRETIEN AVEC LE CARDINAL RAYMOND LEO BURKE

NEUVIEME ET DERNIER VOLET DE NOTRE ENQUETE SUR LA TRADITION CATHOLIQUE AUX ETATS-UNIS




Paix Liturgique  – Éminence, nous avons publié sept lettres sur le catholicisme américain et une huitième faisant le commentaire d’un sondage à propos de la messe traditionnelle. En un mot, que diriez-vous du monde catholique américain ?

Cardinal Raymond Leo Burke – Le peuple américain est pour sa plus grande part un peuple religieux. En Amérique en général il existe une grande ferveur religieuse et celle-ci se retrouve naturellement chez les catholiques où il existe une conscience très forte de l’appartenance à l’Église, qui se manifeste (ou du moins qui se manifestait jusqu’alors) par une véritable pratique hebdomadaire.


Paix Liturgique  – Pensez-vous qu’il existe un charisme particulier propre au Catholicisme américain ?

Cardinal Raymond Leo Burke – Les américains ont un vrai sens pratique et un talent pour l’organisation. Ces caractères se retrouvent chez les catholiques américains en général et chez ceux attachés à la forme extraordinaire en particulier. J’en ai pour preuve leur talent à faire avancer les choses alors que d’autres attendraient que les choses s’imposent d’elles-mêmes. Combien de fois ai-je vu des fidèles dont les pasteurs étaient réservés ou hostiles à leur demande s’ingénier à trouver des solutions parfois à des centaines de kilomètres de chez eux.

Le cardinal Caffarra m’a dit un jour sur la situation en Europe : « les catholiques américains sont encore prêts à se battre pour leur foi et leur Église, et pour la défense de la vie. Vous devez continuer à être comme cela pour nous donner des forces et du courage, et nous montrer que nous pourrions en faire autant ! ».


Paix Liturgique  – Le sondage que nous avons commandité nous indique que le nombre de catholiques américains pratiquants qui connaissent le motu proprio est supérieur à 72 % ce qui est très important

Cardinal Raymond Leo Burke – Je dirais qu’aux USA la conscience qu’il existe désormais deux formes du rite de la messe est assez élevée. Cela s’explique par le fait que lors de la publication du motu proprio Summorum Pontificum en 2007 ce document a été très largement présenté et commenté dans la presse. De plus, il existe aux États-Unis de nombreux blogs catholiques à l’audience très importante. Je pense à Rorate Cœli, au Father Z, ou à OnePeterFive. Ces blogs très actifs sont très favorables à la liturgie traditionnelle ce qui a eu une grande importance dans la popularisation de la liturgie ancienne même en dehors des cercles « traditionnalistes ». Dès lors je ne suis pas surpris que 72% des pratiquants connaissent l’existence du motu proprio Summorum Pontificum.


Paix Liturgique  – Le sondage indique également que parmi les catholiques américains, nombreux sont ceux qui apprécient l’usus antiquior puisque plus de 41 % des catholiques pratiquants y assisteraient volontiers chaque semaine s’il était célébré dans leurs paroisses ?

Cardinal Raymond Leo Burke – Selon mon expérience, il y a aux USA une grande ouverture en faveur de la messe classique. Un jour, un cardinal italien m’a dit à propos de la forme extraordinaire : « Laissez cette chose aux Français et aux Américains, car les Italiens sont peu intéressés ». Mais je suis bien obligé de constater que les Américains eux sont vraiment curieux et intéressés par la liturgie traditionnelle. Les Français ont été les plus fort pour s’opposer aux réformes malvenues, les Américains se contentent - mais avec talent - de faire avancer les choses sur le terrain et les résultats sont là.


Paix Liturgique  –Quel a été le rôle de l’épiscopat dans le développement de la liturgie classique ?

Cardinal Raymond Leo Burke – Il y a bien sur des prélats qui ne sont pas favorables à l’usus antiquior, mais il se trouve aux USA des évêques qui ont joué un rôle majeur dans la promotion et la bonne connaissance de la liturgie classique. Je pense aujourd’hui à Mgr. Sample ou à Mgr. Cordileone. Et il y a aussi de nombreux évêques qui célèbrent l’usus antiquior quand on leur demande car, dans l’ensemble, la plupart des pasteurs ont voulu répondre favorablement aux demandes des fidèles qui souhaitaient assister à la liturgie traditionnelle.


Paix Liturgique  – Est-ce par ce que les évêques américains sont pragmatiques que « dogmatiques » ?

Cardinal Raymond Leo Burke – Il est évident que les prélats américains sont moins « dogmatiques » et plus pragmatiques que leurs confrères européens sans doute parce que la réalité et la diversité de la population américaine les y invite. Chaque évêque, ou presque, a au sein de son troupeau des communautés venues de nombreuses contrées : des Italiens, des Polonais mais aussi des Ukrainiens et maintenant beaucoup d’hispanophones. Chacune de ces communautés a ses pratiques et ses usages ; aussi lorsqu’un évêque est confronté à une demande d’usus antiquior cela ne lui semble pas plus étrange que la demande que lui feraient des Ukrainiens, des Orientaux ou de Tchèques… Ajoutons que cette diversité de la population américaine interdirait à un évêque de vouloir établir l’unité de son diocèse sur une unité culturelle ou liturgique… Cela a permis de grandes ouvertures pour l’usus antiquior alors qu’en Europe les pasteurs se sont souvent crispés sur une apparente unité d’un peuple qui serait homogène, ce qui d’ailleurs n’est plus possible même en Europe aujourd’hui où se trouvent de nombreuses communautés d’origine étrangère ; je pense aux nombreux Philippins qui vivent en Italie, mais aussi aux nombreux Portugais qui vivent partout en France et en Europe. En cela l’Église d’Amérique est prophétique par rapport à ce que seront les Églises diocésaines d’Europe demain.


Paix Liturgique  –Pourquoi les américains se tournent nombreux vers la forme extraordinaire ?

Cardinal Raymond Leo Burke – Pour le plus âgés il semble clair qu’ils ont la joie à retrouver le cadre catholique de leur enfance qui a presque totalement disparu dans les mouvements postconciliaires. Il faut ajouter que l’application des réformes a été très brutale aux USA : destruction des sanctuaires et changement violent de tout ce qui avait été fait auparavant…


Paix Liturgique  – Comment expliquez-vous l’attrait de nombreux jeunes catholiques pour la liturgie traditionnelle ?

Cardinal Raymond Leo Burke – Les jeunes ont eu l’occasion, depuis le début de leur vie, de constater dans tous les domaines les dévastations de la culture sécularisée. Dans les familles, avec la croissance des divorces, dans le développement et la banalisation de toutes les formes d’immoralité, par la destruction de la vie elle-même avec les législations pro-avortement.

Toutes ces choses les ont scandalisés et malheureusement la liturgie ordinaire, trop banale, trop humaine n’a pas su répondre à leurs interrogations et les a déçus avec ses enseignements souvent trop mièvres.

Les jeunes ne cherchent pas cela. Ils veulent une forme de culte où il est évident que l’acteur principal est bien le Christ-lui-même et ou ce qui leur est enseigné répond à leur contestation de la sécularisation.

C’est ce motif qui a fait que de nombreux jeunes ou de jeunes familles se sont tournés vers l’usus antiquior.


Paix Liturgique  – Le pape François a déclaré en 2017 aux évêques tchèques qui l’interrogeaient au sujet de l’intérêt de certaines personnes pour la messe traditionnelle « Laissez-les tranquille c’est une mode qui passera » ?

Cardinal Raymond Leo Burke – Il est clair que la forme classique est la forme que la messe a prise il y a plus de 14 siècles, depuis le Pape Saint-Grégoire le Grand. Cette forme possède une intégrité, une beauté, une cohérence qui est comme éternelle et consubstantiel avec la foi catholique enseignée depuis les origines.

Pour cette raison tous les croyants depuis 14 siècles en ont apprécié les richesses et la beauté car elle répondait à leur Foi en y puisant leur force et les grâces pour mener leur vie chrétienne.

L’on remarquera que lorsque la permission a été rendue aux prêtres et aux fidèles de vivre leur foi de nouveau au rythme de l’usus antiquior, celle-ci a été reçu avec enthousiasme par des hommes et des communautés du monde entier qui étaient heureux de retrouver ou de trouver pour le plus jeunes une liturgie authentiquement catholique.


Paix Liturgique  – Pour conclure quel est le plus grand problème du catholicisme américain aujourd’hui ?

Cardinal Raymond Leo Burke – Depuis un demi-siècle la transmission de la foi a été partiellement ou totalement interrompue par des catéchèses qui n’étaient pas catholiques ou du moins pas assez catholiques. Cela a produit des générations de fidèles faibles aux convictions confuses qui ne voient pas toujours l’importance des grands sujets moraux ou religieux.

Mais c’est aussi cette carence qui a donné à de nombreux jeunes le gout d’approfondir leur foi et à de très nombreux séminaristes et jeunes prêtres le désir de revenir à l’essentiel.

Vous pourriez être surpris de savoir le nombre de jeunes prêtres qui chaque année me demande de consacrer leur calice avant la célébration de leur première messe et la plupart ne viennent pas du monde traditionnel.

C’est pour moi une grande joie et un motif d’Espérance pour l’avenir de l’Église.

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