Notre lettre 935 publiée le 11 mai 2023

LES ÉTRANGES MÉTHODES DE GESTION

DU DIOCÈSE DE LEEDS

PAR MGR. ARTHUR ROCHE


L'Evêque qui jamais ne discute avec les fidèles

Qu'ils soient les siens ou les autres ...


Avant de devenir à Rome Cardinal-Préfet du Dicastère pour le Culte Divin, chargé de la mise en œuvre de Desirio desideravi, la charte franciscaine de la liturgie nouvelle, Arthur Roche a été évêque de Leeds, en Angleterre. Il y a laissé des souvenirs mitigés, pour le dire faiblement.


Un évêque technocrate


Né le 6 mars 1950, il fit des études théologiques en Espagne, et fut ordonné pour le diocèse de Leeds en 1975, où il fut vicaire, curé, vice-chancelier. Après un passage à Rome, pour achever ses études à l'Université pontificale grégorienne de Rome, il devint secrétaire général de la Conférence des évêques d'Angleterre et du Pays de Galles, puis évêque auxiliaire de Westminster et enfin évêque coadjuteur du diocèse de Leeds, en 2002.

En 2007, après avoir fait de coûteux travaux dans la cathédrale et dans son évêché, Hinsley Hall, dont la magnificence l'avait fait qualifier de « Vatican du Nord » ou de « mini-Vatican », l'évêque décida d'économiser.

La ville de Huddersfield – et ses six paroisses – devint un doyenné cobaye pour son programme de restructuration, Mgr Roche décrétant que deux paroisses suffiraient amplement. La presse locale donna la parole aux fidèles ulcérés de Saint James the Great : « Nous ne pouvons pas comprendre pourquoi quelqu'un voudrait fermer une église qui est pleine chaque semaine et qui est dans le vert financièrement. […] Beaucoup d'entre nous lui [à l’évêque] ont écrit pendant la consultation et nous avons même réalisé un DVD montrant nos points de vue. Malheureusement, toutes nos pétitions sont tombées dans l'oreille d'un sourd. […] "Vous semblez n'avoir prêté aucune attention à nos arguments. Pire que cela, vous avez condamné à la fermeture une église pleine et florissante sans même la visiter. Alors même que vous décidiez de démolir notre église dynamique pour vendre le terrain à développer, vous meniez à bien le plan très coûteux de consolidation de la cathédrale de Leeds. Ce ne sont pas les bâtiments qui comptent, ce sont les gens" ».

Dans un autre titre local il était expliqué que plusieurs paroisses avaient déjà été fermées à Bradford – un autre doyenné – et que trois devaient être supprimées à Huddersfield, St James le Grand, Sainte Brigitte à Lowergate – dont les fidèles venaient de collecter une somme d'argent importante pour sa reconstruction, Paddock et Sainte Bernadette à Bradley – cette dernière transmise à Catholic Care pour en faire un bâtiment communautaire.

Malgré la colère des paroissiens de Huddersfield, Mgr Roche, imperturbable, étendit l'expérience en 2008 à deux nouveaux doyennés, Pontefract et Wakefield, où il ferma sept paroisses supplémentaires. Les paroissiens, vent debout, accusaient Mgr Roche d'enfreindre le droit canonique et de privilégier une vision financière court-termiste (fermer les paroisses pour réduire les coûts, puis vendre les bâtiments pour remplumer le diocèse dont la santé financière a été affaiblie par des dépenses somptuaires). Ils demandaient l'intervention d'hommes politiques et d'organismes patrimoniaux dans le but de sauver leurs églises de la fermeture. Le pair travailliste Lord Lofthouse offrit son soutien aux paroissiens, accusant l'évêque de « faire passer les finances avant l'enseignement chrétien. »


Des fidèles qui s’enchainent aux grilles des églises


Mais le zèle rochien gonflait toujours : mise en vente de douze paroisses – une sur dix dans le diocèse, de paroisses en très bonne santé, qui comptaient jusqu'à 200 fidèles réguliers. Une pétition intitulée « Save our Churches » (sauvez nos églises) fut signée par plus de 7000 personnes, dont d’autres évêques, des politiques, des célébrités. Au niveau national, le Sunday Telegraph mena une campagne de presse pour obtenir l'intervention des pouvoirs publics.

Le ras-le-bol des paroissiens se giletjaunissait de plus en plus. The Telegraph expliquait : « Les fidèles ont appelé les députés et les organismes patrimoniaux à s'engager à leurs côtés pour la défense de leurs paroisses, écrit [à Rome] pour faire valoir que le diocèse a négligé ses devoirs en tant qu'administrateurs des églises, et la semaine dernière ont fourni à l'évêque des documents juridiques affirmant que son action viole le droit canonique. Certains des manifestants - y compris des femmes octogénaires - se sont même enchaînés aux grilles des églises pour protester contre les fermetures, qui, selon eux, dévasteront les communautés locales. […] Maureen Walsh, qui pratique à l'église Holy Family de Chequerfield depuis 44 ans, a déclaré: ''Nous avons été bouleversés par cela. Les gens pleuraient dimanche dernier en réalisant que nous ne pourrons plus venir ici''. Un prêtre polonais a proposé de prendre la relève de l'actuel titulaire, qui doit prendre sa retraite cette année, pour permettre à l'église de continuer, mais la proposition a été rejetée par Mgr Roche. L'église a une assistance d'environ 200 fidèles réguliers. Anne Dyer, présidente du conseil de direction de l'école primaire Holy Family et St Michael, a déclaré que la fermeture de l'église affectera tout le monde dans la région, des enfants à leurs grands-parents. Les élèves ont envoyé des lettres à Mgr Roche lui demandant de changer d'avis. […] À quelques kilomètres de là, à l'église St John the Evangelist, à Allerton Bywater, de grandes bannières accrochées aux murs extérieurs montrent clairement le mécontentement de la congrégation. "Monseigneur Roche ne se soucie pas de nos malades et de nos vieux", dit l'un d'eux. Un autre dit : "Il met l'argent avant le christianisme". […] Une lettre a été envoyée à la Charity Commission par l'église Notre-Dame de Lourdes à Ackworth, qui compte près de 200 fidèles. Il dit que le diocèse "n'a pas agi dans l'intérêt de la charité et de ses bénéficiaires (les paroissiens et le clergé) ».

Mais Arthur Roche restait sourd. Par la voix de son porte-parole John Brady : « Mgr Roche a fait valoir que les congrégations de moins de 200 personnes ne sont plus viables et que les églises sont fermées parce qu'il n'y a pas assez de prêtres pour desservir les paroisses. Le nombre de prêtres en Angleterre et au Pays de Galles a chuté de près d'un quart en 20 ans, passant de 4 545 en 1985 à 3 643 en 2005 », explique The Telegraph.

Et donc, expliquait John Brady à la presse, la mobilisation des paroissiens ne changerait rien aux décisions prises : « Nous avons eu un audit, le dossier leur a été soumis, et c'est tout. »

Comme l'expliquera des années plus tard un curé anglais, en revenant, dans un article sur les diverses expériences de fermeture brutale de paroisses, et les plus nombreuses fusions, « lorsqu'une église est fermée, en particulier là où il y a une assistance locale relativement florissante, il n'en résulte que du désespoir, et il n'y a aucun avantage pour ceux qui ont perdu l'endroit où eux, leurs parents et leurs les grands-parents ont été baptisés, ont fait leur première communion, ont été mariés et enterrés. Et très probablement leurs arrière-grands-parents avaient fait des sacrifices extraordinaires pour construire ladite église. Il est difficile de les persuader qu'un bunker en béton à quelques kilomètres de là serait un bel endroit pour aller à la messe, et qu'une nouvelle secrétaire au Bureau de charité serait une ressource prioritaire pour le diocèse. Ce qui aurait dû arriver [à Leeds et ailleurs], c'est que l'évêque aurait pu retirer simplement le curé, laissant la paroisse faire ce qu'elle pouvait des bâtiments. Les paroissiens auraient pu entretenir le lieu et organiser la messe au fur et à mesure qu'ils pouvaient trouver un prêtre consentant. Il y a les offices des Laudes et des Vêpres, il y a des dévotions : c'est sûrement le moment de laisser la paroisse fonctionner comme elle le faisait par le passé – nous avons déjà connu ce type de situation en maints endroits dans le pays. Dans son autobiographie, l'archevêque Ullathorne a décrit comment, au début du XIXe siècle, les paroisses catholiques du nord de l'Angleterre fonctionnaient sans prêtre; il y aura des litanies, des chapelets, un sermon lu dans un livre… mais la paroisse a survécu. Ce n'est en aucun cas idéal, mais une fois que vous fermez l'église, vous perdez les gens. Presque tous. Mais si vous fermez l'église, vous avez peut-être gagné de quoi embaucher une secrétaire pour taper les lettres aux personnes qui ne sont plus là. »

Mgr Roche poursuivait donc son chemin. En 2010, il fit savoir à ses fidèles, dans une lettre pastorale, que le la moitié des paroisses du diocèse seront fermées, de façon irrévocable. Et il les consolait : « L'Église n'est pas un bâtiment ; c'est vous, les pierres vivantes qui rendez visible le visage du Christ dans notre société. » À quoi certains rétorquaient qu’il aurait pu toutes les fermer : l’Église eût été bien plus visible encore...

Les paroissiens de trois églises marchèrent vers l'évêché et y remettent une pétition, une quarantaine d'autres, à Saint-Jean l'Evangéliste, « se sont enchaînés aux grilles de l'église, ont allumé des bougies et ont chanté des hymnes », rapportait le Telegraph.


Le bilan


Peu après, Damian Thompson, dans le Telegraph, dressait le bilan de cet épiscopat réformateur : « C'est le programme le plus brutal de fermeture de paroisses catholiques que j’ai connu. [Il fallait faire quelque chose, mais], ayant suivi de près le fiasco de la fermeture des églises du doyenné de Pontefract il y a quelques années [2008], je ne peux pas dire que je fasse confiance à Mgr Arthur pour faire les bons choix. C'est un homme qui ne manque jamais une occasion de faire valoir son statut épiscopal – il se comporte comme un prince-évêque de la Renaissance – et qui a présidé à certaines des dépenses diocésaines les plus excessives de tous les prélats ces dernières années. […] Le diocèse de Leeds s'est financé plus comme une banque d'investissement qu'un organisme de bienfaisance. Comme le dit ma source, "financièrement, c'est OK, tant que vous gagnez plus sur vos investissements que les emprunts ne vous coûtent. Si le marché s'inverse (comme au cours des deux dernières années), vous êtes en difficulté''. Encore une fois, je ne conteste pas que le diocèse (comme beaucoup d'autres à l'avenir) doive fermer certaines églises. Mais l'évêque Arthur [Roche] aurait-il besoin de fermer toutes ces églises maintenant s'il n'avait pas dépensé autant d'argent pour la rénovation de sa cathédrale et de son mini-Vatican à Hinsley Hall ? »

Du coup, Roche fut enlevé à son diocèse. Le pape Benoit XVI, qui n’eut pas toujours la main heureuse dans ses nominations, le fit Secrétaire de la Congrégation pour le Culte divin le 26 juin 2012.

Une fois l'évêque parti, un audit fut mené par les consultants en gestion de l'Institut Kinharvie, de Glasgow, qui conclurent que la réorganisation paroissiale dans le diocèse avait été mal gérée, laissant « Des niveaux importants de déception, de tristesse, de douleur et surtout de colère. » Le diocèse accusait malgré ce 3 millions de livres de déficit en 2013, ainsi qu’il résultait de la présentation de ses comptes à la Charity Commission, l'organisme qui contrôle les comptes des organismes de bienfaisance en Angleterre et Pays de Galles, ainsi que l'usage qu'ils font des dons.

Roche parti, le redressement pu commencer. L'artisan discret en fut Mgr John Wilson, autre prêtre de Leeds, devenu ensuite auxiliaire de l'archidiocèse de Westminster, puis archevêque de Southwark.

Et puis intervint une heureuse nomination. En septembre 2014, Mgr Marcus Stock devenait évêque de Leeds, Selon The Tablet, « l'évêque nommé fait partie des membres du clergé les plus compétents de sa génération. Tranquillement classique, c'est un homme profondément pastoral qui aime le ministère paroissial […] C'est] un homme qui chérit les gens dans toute leur diversité ».

Le plus piquant est que Mgr Marcus Stock a pour devise… Desiderio desideravi.

Quant aux fidèles de Leeds ils sont bien décidés à ne surtout pas dire à leur ancien évêque "Arthur go home !" 

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