Paix liturgique

Paix Liturgique : Jusqu’en 2019 vous nous avez présenté chaque année, à Rome, lors des Rencontres Summorum Pontificum, un bilan de la situation et du développement de la liturgie traditionnelle dans le monde. Mais depuis lors vous ne l’avez plus fait.

Christian Marquant : Pour les années 2020 et même 2021 la crise sanitaire n’aurait pas permis ce compte-rendu. Vous savez que pendant cette période il était difficile de voyager et les enquêtes menées sur le terrain devenaient impossibles alors que beaucoup d’institutions (séminaires ou communautés religieuses) tournaient au ralenti. Et puis, il y eut aussi la promulgation en juillet 2021 du motu proprio Traditionis custodes qui a obligé à reprendre toutes les données.

Les évêques qui n’avaient jamais accepté d’appliquer les mesures bienveillantes proposées par le pape Benoit avec Summorum Pontificum ont demandé à leurs fidèles de cesser « sur l’instant » leurs demandes. Ceux qui étaient sur le point d’accorder quelques miettes après plus de 14 ans d’attente ont le plus souvent jugé qu’il était urgent d’attendre.

Paix Liturgique : Donc tout à disparu ?

Christian Marquant : Pas du tout ! Nous n’avons eu de cesse de répéter que l’immense majorité des pasteurs ont évité d’entreprendre une nouvelle guerre fratricide et ont le plus souvent laissé avec sagesse les situations tout à fait apaisées perdurer.

Paix Liturgique : Mais avec un coup de frein tout de même pour les créations de nouveaux lieux ?

Christian Marquant : Globalement, c’est vrai. D’ailleurs beaucoup de groupes qui étaient en train d’officialiser leur demande de célébration ont pensé également d’eux-mêmes que mieux valait attendre des jours meilleurs.

Paix Liturgique : D’autant que le MP lui-même semblait interdire de nouveaux octrois...

Christian Marquant : En effet car le 6ème paragraphe de Traditionis Custodes précise que l’évêque « Doit veiller à ne pas autoriser la constitution de nouveaux groupes. » Ce qui n’encourageait pas ceux qui avaient l’intention de le faire et fournissaient un argument en béton pour refuser à ceux qui n’étaient de toute façon pas très favorables à ces demandes que Summorum Pontificum avait permises...

Paix Liturgique : Cela signifie-t-il que depuis TC le développement des messes traditionnelles s’est interrompu ?

Christian Marquant : Concrètement, le développement dans l’espace diocésain c’est tassé, sans cesser complètement. Et au niveau planétaire le nombre des nouvelles célébrations n’est pas négligeable. Vous noterez, par ailleurs, que les communautés périphériques, comme la FSSPX qui ne dépendent pas directement des décisions de Traditionis custodes, ont continué à étendre leurs apostolats en France, En Europe et dans le monde.

Paix Liturgique : Mais vous ne voulez pas mettre tout ceci en avant

Christian Marquant : Pour ne pas les signaler aux ennemis de la paix. Mais il y a eu de nouvelles implantations en France en Europe et partout ailleurs.

Paix Liturgique : Mais aussi des disparitions…

Christian Marquant : Des disparitions, comme celle très célèbre de Chicago, et aussi des réductions de voilure, comme dans le cas de Paris.

Ceci est au total minoritaire, parce que, comme je vous le disais, la plupart des évêques ont préféré composer sans partir en guerre avec leurs fidèles. Je vous renvoie à ce sujet à notre dernier entretien avec Louis Renaudin (Lettre 948 du 24 juillet 2023, Paix Liturgique France).

Paix Liturgique : Est-ce à dire que le développement de la liturgie traditionnelle est pratiquement à l’arrêt ?

Christian Marquant : Sauf que TC a fait paradoxalement une énorme publicité en faveur de la liturgie traditionnelle.

Paix Liturgique : Comment cela ?

Christian Marquant : La liturgie traditionnelle était devenue, dans le paysage ecclésial, un sujet encore irritant pour beaucoup, mais en quelque sorte banalisé, depuis Summorum Pontificum du 7 juillet 2007 et ne tourmentait plus les hommes de bonne volonté. Mais la tentative de la supprimer à la hache par la publication successive de trois textes (Traditionis custodes, Les Réponses de la Congrégation pour le Culte divin, Desiderio desideravi) n’a tout simplement pas été comprise par beaucoup de fidèles catholiques qui généralement connaissaient mal le sujet, mais qui se sont mis à s’y intéresser et souvent à y prendre goût (sans parler de l’effet Covid, alors que les paroisses « ordinaires », à la différence des « extraordinaires » ne fonctionnaient plus), cette liturgie s’avérant finalement correspondant à leur foi catholique.

Paix Liturgique : Donc un regain d’intérêt.

Christian Marquant : Que l’on retrouve dans la tenue d’un nombre non négligeable, tant aux États-Unis qu’en Europe, notamment en France, de colloques et congrès militants organisés autour du thème de la liturgie traditionnelle à défendre et à développer. Comme ce fut le cas à Paris le 24 septembre 2022, et comme ce sera à nouveau le cas le 23 septembre 2023, avec un colloque organisé par Renaissance Catholique, Oremus, Una Voce, Notre-Dame de Chrétienté et Lex Orandi sur le thème : « Quel avenir pour la messe traditionnelle ? » (2ème colloque : Quel avenir pour la messe traditionnelle ? | Association Renaissance Catholique (assoconnect.com)). Le regain touchant aussi le catéchisme traditionnel, car messe et catéchisme sont toujours liés.

Paix Liturgique : Sur quoi vous appuyez-vous ?

Christian Marquant : Je peux vous donner deux éléments. Le premier faisant référence aux réseaux sociaux. Avec Internet le monde n’a plus de frontières ; des informations venant du monde entier nous permettent – parfois en allant ensuite voir sur place – de constater que des groupes naissent en effet et se développent là où personne ne s’y attendait.

Mais je préfère ne pas vous en dire plus pour ne pas attirer l’attention vers ces régions du monde où l’établissement de la liturgie traditionnelle est en gestation. Vous pourrez constater cela lorsque nous pourrons à nouveau publier sereinement un bilan annuel du développement de la liturgie traditionnel dans le monde. On peut déjà dire qu’à cette échelle mondiale Traditionis custodes n’a eu qu’un succès très relatif.

Paix Liturgique : Et votre deuxième élément ?

Christian Marquant : Il s’agit de l’étonnant succès des pèlerinages qui se sont déroulés dans le monde depuis 2 ans.

Paix Liturgique : Lesquels ?

Christian Marquant : Le magnifique pèlerinage de Covadonga, en Espagne, qui en trois ans a triplé le nombre de ses pèlerins, dont certains venus de nombreux pays d’Europe et d’Amérique latine (Lettre de Paix liturgique 949 du 1er août 2023 (Paix Liturgique France).

Paix Liturgique : Mais nous avons publié aussi une lettre sur le pèlerinage de Lujan en Argentine...

Christian Marquant : … qui révèle la même situation, à savoir un accroissement considérable des pèlerins et une internationalisation inattendue (Lettre de Paix liturgique 954 du 23 août 2023 (Paix Liturgique France).

Paix Liturgique : Pourquoi inattendue ?

Christian Marquant : Parce que, s’il peut paraitre normal de voir affluer des pèlerins venus de régions d’où la liturgie traditionnelle est vivante et bien implantée, il est plus inattendu de voir de nombreux pèlerins, et même des prêtres, venir de pays comme la Bolivie ou le Vénézuela, pays que nous signalions comme encore étranger au monde traditionnel lors de notre bilan de 2019.

Paix Liturgique : Et bien sûr il y a eu le pèlerinage de Chartres.

Christian Marquant : Qui comme Lujan et Covadonga a dû bloquer ses inscriptions 15 jours avant le jour du départ du pèlerinage du fait d’un trop grand afflux de pèlerins !

Paix Liturgique : Sans que ces pèlerinages se « concurrencent ».

Christian Marquant : Ils ne sont pas concurrents mais complémentaires et je crois qu’il faut s’attendre dans les années à venir à une multiplication des pèlerinages dans d’autres pays encore, où les laïcs feront connaitre à leurs pasteurs ce qu’ils sont et ce dont ils ont besoin.

Paix Liturgique : J’avoue avoir été très impressionné par la vidéo de l’arrivé des pèlerins à Lujan.

Christian Marquant : Je connais plus d’une personne qui a pleuré en regardant cette vidéo filmant ces très nombreux jeunes (moins jeunes peut-être que dans les autres pèlerinages) déterminés et volontaires à leur arrivé au sanctuaire de Lujan où il leur avait été interdit de célébrer la messe !

Paix Liturgique : Chartres est-il aussi international ?

Christian Marquant : Depuis longtemps. Je pense que tous ceux qui ont participé ne serait-ce qu’une fois au pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté ont remarqué l’impressionnante présence de chapitres et de drapeaux étrangers. Le président de Notre-Dame de Chrétienté avait d’ailleurs présenté à Rome en 2019, lors de la Rencontre Summorum Pontificum, ce caractère international, mais je pense que beaucoup d’entre nous ne le mesurent pas suffisamment.

Paix Liturgique : Comment le faire mesurer ?

Christian Marquant : En donnant pour notre prochaine Lettre la parole à Jean de Tauriers, pour qu’il nous éclaire un peu plus sur ce sujet.

Paix Liturgique : Une dernière question… Et Traditionis custodes dans tout ça ?

Christian Marquant : En fait, Traditionis custodes est un document décalé. Il est en décalage flagrant avec les convictions des fidèles catholiques qui pratiquent encore aujourd’hui. D’où la croissance plus importante encore, depuis le motu proprio, des entrées dans les séminaires traditionnels. Et ces effets non voulus par les promoteurs de Traditionis custodes ne font que commencer.

Paix Liturgique : Donc bientôt, à nouveau, vous publierez des bilans du développement de la liturgie traditionnelle dans le monde ?

Christian Marquant : Très certainement et auparavant, j’espère que nous nous retrouverons nombreux le 23 septembre lors du second colloque parisien consacré à la liturgie traditionnelle