Paix liturgique

L’acte gratuit amoral, sans autre fin que la liberté transgressive a fasciné l’entre-deux guerres, période désignée aussi sous le vocable des « années folles ». Sous la plume d’André Gide, la sotie « Les caves du Vatican », entre diverses railleries anticléricales, expose la façon dont un obscur, un sans grade, est poussé d’un train pour la seule jouissance d’un libertaire. Nous sommes en 1914. La transition avec l’actualité est aisée : un modeste évêque, mais catholique, titulaire d’un modeste diocèse, mais pacifié par une vraie charité, vient d’être débarqué par un autocrate romain, pour la jouissance du geste souverain. Pour montrer, à ceux qui ont des yeux pour voir, la violence bergoglienne et la vacuité de ses propos inclusifs, Mgr Strickland a accepté de les focaliser sur lui. Ce sacrifice personnel force l’admiration. Poussé par-dessus bord, l’évêque de Tyler sera à terme, gageons le, le seul survivant de ce duel. En guise de toast, un « todos » d’honneur pour ce héros sub specie aeternitatis.

Quelle valeur reconnaitre à une vie humaine, quand un affrontement politico-militaire insensé, tel que la Grande Guerre, a sacrifié par millions d’âmes la jeunesse baptisée ? Au décours de cette hécatombe, les chrétientés guerrières ont dû assumer un discrédit moral insondable, celui d’avoir toléré des pertes inouïes en vies humaines enrégimentées malgré elles. Il se dit que le saint pape Pie X, décédé peu avant le déclenchement de la guerre en août14, serait mort de chagrin à cette perspective. Le monde d’hier n’y a pas survécu, et le monde fou qui prétendait le remplacer n’avait pour trame persistante et modératrice que l’irrigation chrétienne assumée par l’Eglise Catholique, celle du catéchisme, des sacrements, et des œuvres charitables.

« Qu’est-ce qu’une vie d’homme pour que Tu t’en soucies ? » lit-on dans l’Ecclésiaste. Notre Seigneur n’a rien en commun avec les dieux d’Epicure, lesquels, du balcon de l’Olympe, se divertissent du chaos des vies humaines. Les évêques français, dans leur communiqué du 10/11/23, se déclarent préoccupés par l’incorporation de l’avortement dans la Constitution de la Ve République.

Il y a un avortement pour trois naissances actuellement en France. Pensez-vous que la CEF s’émeuve de l’offense faite à Dieu par ces crimes que la justice républicaine aspire à ne plus punir du tout, dès lors que la liberté de tuer l’innocent de façon légale est en train de passer, en quelques décennies, d’un recours en cas de détresse à la revendication d’un droit intangible ? Attendez-vous des mitres hexagonales qu’elles rappellent l’échéance du jugement de Dieu pour chacun d’entre nous, et le scandale d’un prétendu droit de tuer l’innocent dans le sein de sa mère ? Ni les droits de Dieu sur ses enfants, ni les droits acquis par l’unique Sauveur ne sont invoqués. Seul figure la mention d’un « commandement biblique » de ne pas tuer, lequel est un commandement sans Commandeur, à la façon d’une mythologie. La préoccupation des Ordinaires est toujours la même depuis un demi-siècle, et tout aussi lâche : ils redoutent que l’on ouvre en grand, non pas l’Enfer, mais la boite de Pandore…

Nos bons apôtres se drapent du souci des victimes dont les droits sont bafoués. Ils brandissent l’hermine non pour être la voix des sans-voix, mais pour délaisser leur propre magistrature. Mais pour argumenter en juristes, de qui sont-ils les conseils ? Car qui bafoue le droit de l’enfant à vivre, sinon ceux qui lui ont transmis la vie, et dont la citoyenneté républicaine s’offre à les débarrasser ? Ces évêques aux ailes coupées ne sont pas prêts de prendre de la hauteur. Aucun risque de les voir débarqués par Rome…