Notre lettre 1117 publiée le 15 octobre 2024

PLUTÔT QU’UN ORDINARIAT

POUR LES TRADITIONNALISTES,

NOUS VOULONS LA LIBERTÉ

POUR LA LITURGIE TRADITIONNELLE

Paix liturgique : Cher Christian, l’idée de l’instauration d’un ordinariat pour les prêtres et les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle a été reprise il y a quelques temps.

Christian Marquant : En fait c’est un « concept » assez ancien qui avait été proposé par le cardinal Ratzinger à la FSSPX en 1988, puis par le cardinal Castrillón à partir des années 2000, cette fois sous la forme d’une prélature personnelle, et qui lui aurait permis de gérer ses maisons, son fonctionnement, ses prêtres et ses fidèles sans tenir compte, ou presque, du maillage épiscopal territorial ordinaire. On pourrait aussi évoquer l’administration apostolique Saint-Jean-Marie-Vianney à Campos, au Brésil, dont le supérieur est Mgr Rifan.


Paix liturgique : Avant de poursuivre pouvez–vous me précisez ce que l’on appelle « ordinariat » ?

Christian Marquant : Les distinctions canoniques entre les Églises particulières, diocèses, vicariats apostoliques, administrations apostolique, ordinariats, sont complexes. Disons qu’on parle dans cette affaire de l’équivalent d’un diocèse, mais sans territoire, dirigé par une ordinaire qui est ou non évêque. Ainsi, ce que l’on appelle « les diocèses aux armées » ne sont pas des diocèses territoriaux mais des ordinariats personnels constitués pour s’occuper du groupe particulier que sont les militaires, des personnes qui peuvent se retrouver dans tous les lieux de France ou du monde en dehors des cadres stables des diocèses territoriaux. Un autre exemple est celui de l’ordinariat des Anglicans qui réunit ceux qui ont rejoint l’Église catholique mais qui ne constituent pas un groupe territorial car ils ne se répartissent même pas sur la seule Grande-Bretagne mais presque sur toute la planète. Il existe aussi des ordinariats orientaux pour regrouper les catholiques orientaux qui se trouvent au sein de pays latins. Dans ces cas les ordinaires ont autorité sur leurs fidèles dans le cadre de cette situation particulière où qu’ils se trouvent dans le monde.


Paix liturgique : Mais alors quel serait le sens d’un ordinariat dédié aux traditionnalistes ?

Christian Marquant : Je pense que dans l’esprit de ceux qui promeuvent cette idée il aurait pour fonction essentielle d’être une protection pour les communautés qui y seraient rattachées.


Paix liturgique : Parce qu’elles ont besoin de protection ?

Christian Marquant : Il y a encore quelques années, et cela depuis 1988, le Saint-Siège avait mis en place la Commission Ecclesia Dei ayant pour mission d’être l’interlocutrice d’une manière générale du monde traditionnel et de laquelle relevaient les sociétés de vie apostolique de droit pontifical constituées après 1988 autour de la liturgie traditionnelle.


Paix liturgique : Cela a-t-il été fructueux ?

Christian Marquant : Plus ou moins. En tout cas tant que la Commission a existé ces sociétés ont été gérées par elle en respectant leurs spécificités.


Paix liturgique : Et aujourd’hui ?

Christian Marquant : Pour faire simple depuis la publication du motu proprio Traditionis Custodes et la suppression de la commission Ecclesia Dei les communautés dépendent désormais directement des dicastères romains « ordinaires » : elles relèvent du Dicastère pour les Dicastère pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique. En outre, le Dicastère pour le Culte divin et celui pour le Clergé participent à des réunions romaines les concernant pour ce qui touche à la liturgie et aux séminaires. Autrement dit ce qu’on nommait les « Instituts Ecclesia Dei » sont soumis désormais au droit commun.


Paix liturgique : Mais était-ce Cette commission Ecclesia Dei qui s’occupait de trouver des évêques pour les besoins d’ordinations de ces communautés ?

Christian Marquant : Non, les supérieurs de ces instituts appellent les candidats aux ordres sacrés et se chargent de les faire ordonner en s’adressant à des évêques qui le veulent bien. Depuis le début, il s’est trouvé un nombre suffisant de cardinaux et d’évêques qui sont heureux de remplir ce rôle indépendamment de la Commission Ecclesia Dei.


Paix liturgique : De vieux prélats alors ?

Christian Marquant : Ce fut une moquerie souvent utilisée par les ennemis de la Paix… Mais en fait il se trouve toujours dans l’Église, hier comme aujourd’hui, des Prélats, certains dans la force de l’âge, se renouvelant au cours des ans, et dont certains sont pas nécessairement d’esprit traditionnels, qui sont heureux de fournir ce service à des communautés souvent florissantes au service de l’Église avec leur propre charisme que le pape lui-même leur a demandé de conserver. Depuis un certain temps, par exemple, la FSSP fait ordonner ses prêtres par l’évêque d’Augsburg, qui le fait volontiers.


Paix liturgique : Mais pour en revenir à la question de l’érection d’un ordinariat spécifique au milieu traditionnaliste, que penseraient les épiscopats de cette mise en place ?

Christian Marquant : Précisons d’abord que cette question est totalement abstraite aujourd’hui, compte tenu de la ligne romaine actuelle. Ceci dit, les épiscopats sont en général hostiles à des situations qui leur échappent et sont ordinairement résolument contre en pensant à juste titre que l’érection d’un ordinariat en faveur des traditionnalistes rognerait leur pouvoir et leur autorité.


Paix liturgique : Mais ces évêques sont-ils bienveillants envers leurs fidèles traditionnalistes ?

Christian Marquant : Il est malheureusement évident que 40 ans après la lettre Quattuor abhinc annos de 1984, 36 ans après le motu proprio Ecclesia Dei de 1988, et 17 ans après le motu proprio Summorum Pontificum de 2007, l’immense majorité de nos évêques n’a pas été bienveillante avec nous. Certains ont agi avec un peu de cohérence et d’intelligence. Quelques-uns ont véritablement favorisé le monde traditionnel.


Paix liturgique : C’est à dire ?

Christian Marquant : Je veux dire que, sauf exceptions très heureuses, dans les meilleurs des cas nos pasteurs ont accordé le minimum possible pour empêcher de trop fortes réactions sans jamais jouer le jeu loyalement. Sinon il existerait en France… et dans le monde… d’ores et déjà trois ou quatre fois plus de lieux de culte où serait célébrée la liturgie traditionnelle, enseigné le catéchisme qui va avec, etc.


Paix liturgique : Donc vous pensez que l’érection d’un ordinariat serait en fait une bonne chose pour les fidèles...

Christian Marquant : S’il s’ajoutait à ce qui existe déjà, comme l’Administration apostolique de Campos, pourquoi pas. Puisqu’on rêve, je pense par exemple à des abbayes traditionnelles, qui seraient transformées en abbayes nullius, c’est-à-dire constituant des petits diocèses indépendants, avec chacune un Père Abbé évêque. Mais si l’ordinariat devait « chapeauter » tous les instituts, tous les prêtres et tous les fidèles traditionnels, soit en France, soit dans le monde entier, ce que les fidèles ont obtenu en un demi-siècle de Résistance serait définitivement gelé sans espoir d’une légitime et nécessaire extension. Quid des messes célébrées par les prêtres diocésains dans leurs paroisses, par exemple ? Or, c’est bien cela qui est le plus important pour une réintroduction de la messe tridentine dans le tissu même des diocèses, afin qu’elle redevienne ce qu’elle est en droit, non une concession, mais la messe de toute l’Église latine. Car, ne nous trompons pas, c'est le rétablissement de l'usus antiquior dans toutes les paroisses de l'Eglise latine qui est notre objectif en réponse à l'énorme demande des fidèles que nous avons pu constater dans tous les pays, dans tous les diocèses et mêmes dans toutes les paroisses y compris là ou ces demandes n'ont même pas été écoutées.


Paix liturgique : Êtes-vous réaliste ?

Christian Marquant : L’espérance chrétienne, quoi qu’il en semble, est toujours réaliste. Et d’ailleurs, de fait, ce sont les deux tiers des catholiques français pratiquants qui souhaiteraient vivre eux-mêmes, ou en tout cas qui seraient favorables à ce que vive parmi eux, la foi catholique au rythme du catéchisme et de la liturgie traditionnelle. Or, aujourd’hui, seulement une toute petite partie de ces fidèles en ont la possibilité.


Paix liturgique : Vraiment ?

Christian Marquant : Vous savez comme moi que l’on compte en France environ 450 lieux de culte où est célébrée la liturgie traditionnelle sur un peu plus de 4000 paroisses. Le rapprochement de ces deux chiffres nous révèle assez clairement que près de 90 % des catholiques ne peuvent assister normalement à la liturgie à laquelle ils aimeraient assister, toujours ou en tout cas occasionnellement, car elle n’est pas célébrée près de chez eux et encore moins au sein de leur paroisse.


Paix liturgique : Ce qui ne serait toujours pas le cas avec l’érection d’un ordinariat…

Christian Marquant : En effet car dans ce cas les évêques seraient trop contents de répondre aux fidèles qui leur demanderaient des célébrations, même exceptionnelles comme des mariages ou des funérailles, de s’adresser aux prêtres dépendant de l’ordinariat. Un ordinariat qui n’aurait de toute façon aucun pouvoir au-delà de ses propres chapelles. Mais il y a plus grave, il me semble.


Paix liturgique : Quoi donc ?

Christian Marquant : Ce serait d’accepter le fait qu’il se trouverait en France deux Églises romaines distinctes la moderne et conciliaire et celle des traditionnels. Ce serait réduire le droit à la liturgie traditionnelle à une catégorie de catholiques.


Paix liturgique : Mais n’est-ce pas déjà le cas ?

Christian Marquant : Peut-il y avoir deux Églises catholiques ? Mais si cela apparaît parfois, c’est bien regrettable, car nous sommes a priori tous catholiques. Et si les traditionnels ne sont plus dans leurs paroisses c’est parce que l’on les a chassés ou qu’on leur refuse ce à quoi ils ont droit, ce qui est la même chose.


Paix liturgique : Mais pourtant il est souvent dit que ce sont les fidèles « traditionnels » qui ont quitté leurs paroisses…

Christian Marquant : Mais vous savez bien que cela est un horrible mensonge. Car c’est tout à fait le contraire qui s’est passé dans la seconde moitié des années 60 lorsque les fidèles attachés aux traditions tant catéchétiques que liturgiques ont été chassés par les curés et leurs conseils paroissiaux alors que depuis toujours les catholiques attachés à la tradition SOUHAITENT VIVRE LEUR FOI D’ABORD DANS LEUR PAROISSE car pour eux il n’existe qu’une seule Église catholique.


Paix liturgique : Mais ils en ont été vraiment chassés ?

Christian Marquant : Oui vraiment chassés et cela a duré fort longtemps. Je me rappelle des fidèles qui, tentant de revenir dans leurs paroisses après 1988, se sont entendus dire : « Retourne chez Lefebvre ! ».


Paix liturgique : Pas très charitable.

Christian Marquant : Mais à de rarissimes exceptions près les modernes n’ont jamais été charitables… mais pas toujours idiots. Voilà pourquoi ils ne souhaitent pas que les fidèles attachés à la liturgie et au catéchisme traditionnels reprennent une place dans les paroisses ordinaires.


Paix liturgique : Donc pour vous l’ordinariat serait un bon moyen pour figer les positions et nuire au développement du monde traditionnel ?

Christian Marquant : Je le redis : en soi, c’est une discussion aujourd’hui purement académique. Mais du point de vue de ce que représente cette demande, je crois en effet que ce serait nuisible. Ce serait une aubaine pour certains pasteurs qui préféraient voir leur Église mourir plutôt que de la voir renaitre dans un esprit traditionnel. Et d’ailleurs, qui serait l’ordinaire nommé par Rome ? Quel esprit aurait-il ? Et encore une fois que deviendrait les prêtres diocésains célébrant la liturgie traditionnelle ? Devraient-ils quitter le terrain diocésain pour rejoindre l’ordinariat ?


Paix liturgique : Vous m’avez dit que les évêques penseraient l’érection d’un ordinariat en faveur des traditionnels rognerait leur pouvoir, mais selon vous, certains évêques ne pourraient-ils être favorables à une décision qu’ils n’apprécieraient pas par ailleurs ?

Christian Marquant : Encore une fois la question ne se pose pas. Mais supposons qu’un esprit « libéral » en vienne à souffler à Rome après le présent pontificat. Du coup, cette idée ou d’autres semblables consistant à accorder la liberté, mais à part, dans une sorte de ghetto, pourrait bien avoir les faveurs de beaucoup d’évêques, qui craignent par-dessus tout la contagion traditionnelle. Or, un ordinariat, une prélature, que sais-je encore, pour l’ensemble des traditionnels serait pour eux un moyen « légitime » de les mettre à l’écart. C’est sur le principe que je dis et à cela : NON MERCI !

Encore une fois je pense à ces nombreux prêtres diocésains aujourd’hui muselés et tenus au silence alors que beaucoup d’entre eux souhaiteraient être les pasteurs de toutes leurs ouailles et seraient heureux de pouvoir célébrer la messe traditionnelle.


Paix liturgique : Tout de même, ne croyez-vous pas qu’à court terme, un ordinariat vous serait plus utile que de faire confiance à des évêques plutôt malveillants ?

Christian Marquant : Je crois, comme je crois en Dieu et en son Église, qu’il faut raisonner à long terme. Nous ne constituons pas une petite communauté marginale, comme le sont les catholiques orientaux en Europe, nous ne sommes pas l’équivalent d’un rite particulier. Nous sommes de fait un noyau de fidèles tout à fait considérable et qui peut le devenir plus encore, et nous sommes de droit soutenus par une liturgie qui véhicule « la théologie catholique de la sainte messe telle qu’elle a été formulée à la XXe session du Concile de Trente », « les vérités toujours crues par le peuple chrétien », « le dépôt sacré de la doctrine auquel la foi catholique est liée pour l’éternité », pour évoquer le Bref Examen critique des cardinaux Ottaviani et Bacci. « Vérités toujours crues » : j’en veux pour preuve, qu’après plus d’un demi-siècle de nouvelle liturgie, 30 % pour le moins des catholiques vivraient volontiers au rythme de la liturgie et du catéchisme traditionnel si cela était possible dans leur paroisse. J’ai le regret de le dire pour ceux qui défendent ces sortes de propositions assurément très sincèrement, l’idée d’un ghetto, d’une mise à part quelle, qu’elle soit, n’est pas souhaitable, n’est pas défendable.


Paix liturgique : Mais vous êtes souvent accusés de constituer des ghettos.

Christian Marquant : Ce sont les ennemis de la paix qui nous mettent en ghettos pas nous ! Regardez le zèle missionnaire développé par tous les pèlerinages traditionnels qui se multiplient en France et dans le monde. Il est malveillant de nous accuser de constituer des ghettos alors que ce sont trop souvent nos évêques eux-mêmes qui nous y enferment pendant que nous œuvrons pour faire rayonner aussi largement que possible la Foi catholique. Ce que nous souhaitons c’est la messe traditionnelle dans TOUTES les paroisses !


Paix liturgique : Mais quid des risques de continuer à être soumis à de tels pasteurs ?

Christian Marquant : Il faut prier et agir. Considérez donc sur l’histoire de l’Église et convenez que mêmes les plus mauvaises périodes ont une fin. À nous de prier et d’agir pour la hâter, mais prenons garde à la tentation du repli sur soi.

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