Notre lettre 1270 publiée le 12 septembre 2025
PAOLO PASQUALUCCI
LE « CONCILE PARALLÈLE »
LE DÉBUT IRRÉGULIER DE VATICAN II
7ÈME ET DERNIER CHAPITRE
SUITE DE NOS LETTRES 1241, 1244 ,1247 ,1250 ,1254 et 1267

On trouvera ici le 7ème et dernier chapitre de notre traduction française du livre du professeur Paolo Pasqualucci, Il Concilio parallelo. L'inizio anomalo del Vaticano II (Fede e Cultura, 2014).
Chapitre 7
LE FRUIT DEI VERBUM DU « CONCILE PARALLÈLE »
SYNOPSIS DE SON DÉROULEMENT
TORTUEUX ET CONTESTÉ
ITER IN AULA
Une fiction juridique
Revenons maintenant à la discussion dans la discussion en séance plénière sur le schéma De Fontibus Revelationis. Nous avons vu que Jean XXIII, désavouant l'application du règlement de la Présidence du Concile, interrompit, encore une fois de manière informelle ou plutôt « vivae vocis oraculo », la discussion elle-même et confia la révision du schéma à une commission mixte formée par des membres de la Commission théologique (seule compétente en la matière) et des membres du Secrétariat pour l'Unité des Chrétiens (dont on ne voyait pas la compétence, sinon pour diriger la révision du schéma dans le sens « œcuménique » voulu par le Pape). On a vu aussi que ledit schéma a été immédiatement rebaptisé De Divina Revelatione, comme pour indiquer que le vent soufflait désormais du côté des novateurs de l’Alliance européenne” qui, à la manière des protestants et contre toute la Tradition de l'Église, ne voulaient pas que l'on parle des deux sources de la Révélation (l'Écriture Sainte et la Tradition).
Le caractère mixte de la nouvelle commission, chargée de remanier le schéma rebaptisé comme indiqué ci-dessus, était en réalité une fiction juridique qui dissimulait le contrôle pur et simple du Secrétariat pour la promotion de l'unité des chrétiens, présidé par Bea, sur les travaux de la Commission théologique présidée par Ottaviani. En effet, le travail « mixte » se déroulait normalement de la manière suivante : la Commission théologique était divisée en sous-commissions, composées de Pères et d'experts, qui élaboraient leur révision du texte ; les textes étaient ensuite envoyés au Secrétariat (c'est-à-dire à Bea), qui les approuvait s'ils lui convenaient ; dans le cas contraire, le Secrétariat demandait une réunion conjointe avec la Commission théologique afin de discuter des modifications nécessaires (150).
La lutte allait toutefois être encore longue pour les innovateurs. Pour triompher, ils devaient augmenter leur nombre au sein de la Commission théologique et tirer parti de la réforme du règlement du Concile, initiée par Jean XXIII et achevée par Paul VI le 13 septembre 1963.
Climat permanent de confusion et d'incertitude juridique
Il convient de dire quelques mots sur cet aspect du Concile. Vatican II était constitué d'une assemblée de près de 2 500 personnes : une taille gigantesque, qui posait des problèmes d'organisation complexes. Mais les problèmes purement techniques (alléger les travaux, éviter les longueurs, les répétitions et réformer, sous la pression de la pratique, les organes chargés de diriger les débats) s'entremêlaient à des questions de fond, que les problèmes techniques servaient d'ailleurs à masquer, car le véritable conflit était doctrinal. S'il y avait eu accord sur la doctrine, tout le Concile aurait duré quelques mois.
Comme on l'a vu, Jean XXIII a engagé la réforme du règlement, d'abord dans les faits, puis dans le droit. Dans les faits, avec la stratégie oblique que nous avons décrite, consistant à conférer secrètement des pouvoirs plus étendus au Secrétariat pour les Affaires Extraordinaires. En droit, en instituant par la suite la Commission de coordination, qui devait précisément coordonner les travaux, en exerçant également son contrôle sur les textes élaborés par les commissions avant leur présentation en séance plénière.
Il ne faut pas croire que cela ait suffi à dissiper complètement le climat de confusion et d'incertitude juridique. À bien y regarder, celui-ci a caractérisé le déroulement du Concile jusqu'à la fin. La confusion ne pouvait pas disparaître, notamment parce que Jean XXIII avait multiplié les centres d'initiative, invitant, comme nous l'avons vu, les Conférences épiscopales à participer à la réélaboration des schémas pendant l'intersession. Cela permit à l'Alliance européenne de se présenter au début de la deuxième session des travaux avec des textes alternatifs à ceux des commissions, en particulier avec un nouveau schéma De Ecclesia, dont les premiers mots étaient précisément : Lumen Gentium (151).
La réforme du règlement effectuée ensuite par Paul VI n'apporta que des retouches, pourtant essentielles. La présidence du Concile fut portée de dix à douze cardinaux et, dans le même temps, définitivement privée de tout pouvoir effectif de direction de l'Assemblée, confié à un collège de quatre cardinaux modérateurs, qui gouvernaient l'Assemblée en qualité de légats du Pape. Ces cardinaux n'étaient pas tirés de la présidence, mais de la Commission de coordination (dont les membres avaient été portés à neuf), dont les modérateurs continuaient à faire partie. Cet élargissement de la liste n'empêcha pas Paul VI de choisir de manière à donner aux novateurs le contrôle absolu du Collège des modérateurs, puisqu'il était composé de Döpfner, Suenens, Lercaro et Agagianian : seul ce dernier ne faisait pas partie de l'Alliance européenne. Le Secrétariat pour les questions extraordinaires fut supprimé. À la suite de ces réformes, les organes directeurs étaient désormais au nombre de trois, avec une situation de conflit potentiel et permanent entre les deux qui comptaient réellement : la Commission de coordination (dont le secrétaire était désormais également secrétaire du Concile) et le Collège des (quatre) modérateurs (152).
L'absence de clarté institutionnelle effective n'empêcha pas, mais facilita même l'affirmation de la stratégie brutale des novateurs, soutenue par Paul VI, dont le but était le contrôle pur et simple de la majorité dans les commissions et les organes de gouvernement du Concile.
La réforme du règlement introduisit ensuite obligatoirement les théologiens comme experts (ou conseillers) dans les commissions et accorda aux experts laïcs d'y être admis sous certaines conditions. Le principe de la majorité qualifiée des deux tiers a été maintenu pour l'approbation des schémas ou de leurs parties ou amendements ; pour leur rejet ou leur renvoi, en revanche, la majorité simple a été déclarée suffisante. Un nouveau schéma ou un ensemble organique d'amendements pouvait être présenté en séance au Modérateur, à condition d'être soutenu par au moins cinquante Pères. Le Modérateur les transmettait ensuite à la Commission de coordination, qui décidait de leur sort (153).
Les « compromis »
La partie de la Commission théologique encore fidèle au dogme défendait avec ténacité ses positions. Le cardinal Ottaviani, issu d'une famille du peuple de la vieille Rome catholique, se battait comme un lion. Ses adversaires eux-mêmes ont dû le reconnaître (154).
Le texte révisé du schéma De Divina Revelatione fut distribué aux Pères en mai 1963, mais il ne plut pas aux novateurs. C'est pourquoi, en août de la même année, l'évêque d'Eichstätt, Mgr Schröffer, membre de la Commission théologique, aux tendances modernisatrices, dans son rapport aux Pères de l'Alliance européenne de langue allemande, qui allaient se réunir en Allemagne (Conférence de Fulda), écrivit que le schéma révisé se profilait comme « le résultat d'une bataille laborieuse », constituant « un compromis avec tous les inconvénients des compromis ». Non seulement cela, mais le prélat se montrait pessimiste quant à la possibilité d'obtenir davantage. Il joignait à sa lettre des observations détaillées sur le projet, préparées par Karl Rahner Sj. Le commentaire de Rahner était partagé par Grillmeier, Semmelroth et Ratzinger (155). Mais qu'entendaient les innovateurs par « compromis » ? Simplement le fait de ne pas avoir réussi à imposer leur point de vue, qui était le plus conforme à l'œcuménisme. Un exemple. Le dogme de l'inerrance absolue de l'Écriture Sainte ne pouvait être accepté tel qu'il avait été proposé dans le schéma De Fontibus Revelationis, sur la base de l'enseignement perpétuel de l'Église : les protestants l'auraient mal accueilli. Cependant, il fallait tenir compte de la résistance des « conservateurs ». C'est pourquoi, dans le texte publié par la Commission mixte, Mgr Spadafora a noté « tout doute sur l'inerrance absolue de la Sainte Écriture a été exclu : « Puisque Dieu – était-il écrit – est affirmé et est l'auteur principal de toute l'Écriture, il s'ensuit que toute l'Écriture, en tant qu'inspirée par Dieu, est exempte de toute erreur ». Dans ce texte, qui remplace le texte original initial, il n'y a qu'un seul petit signe alarmant : le terme « «inerrance» a disparu du titre du chapitre correspondant. Il ne s'agit plus de « De Sacrae Scripturae inspiratione, inerrantia et compositione litteraria », mais de « De Sacrae Scripturae inspiratione et interpretatione ». Ce n'est que le prélude...(156).
La conquête de la Commission théologique
La Conférence de Fulda, adoptant le point de vue de Karl Rahner, demanda officiellement que le schéma De Divina Revelatione ne soit pas discuté au début de la deuxième session. Le cardinal Döpfner s'est rendu utile en participant, le 31 août 1963, à une réunion de la Commission de coordination, qui devait décider du calendrier des travaux et dont il était membre, et la discussion du schéma contesté a été reportée au début de la troisième session.
En décembre 1963, à la fin de la deuxième session, qui avait commencé en septembre précédent, sous le règne de Paul VI, la Commission théologique reçut quatre nouveaux membres, tous appartenant à l'Alliance européenne, et donc à l'aile modernisatrice. En même temps, les Pères furent autorisés à envoyer des « amendements » écrits sur le schéma jusqu'au 31 janvier 1964 (157). Ainsi, les innovateurs obtinrent pour la première fois la majorité au sein de la Commission théologique.
Ce n'est qu'après ces nominations et seulement après que la Commission théologique eut été divisée en sous-commissions susmentionnées, avec une large participation de Pères et d'experts de tendance « modernisatrice » ou pro-modernisatrice (rappelons Mgr Charue, évêque de Namur ; Mgr Dodewaard, évêque de Haarlem ; l'archevêque de Florence, Mgr Ermenegildo Florit ; les théologiens Grillmeier, Semmelroth, Rahner, Congar, etc.), la Commission de coordination invita la Commission théologique à procéder à la révision du schéma (158). On peut dire que la fragmentation en sous-commissions, dans lesquelles les innovateurs étaient très bien représentés, a constitué la dernière phase de la longue guerre engagée par Jean XXIII contre la Commission théologique et poursuivie par son successeur.
Rien n’est laissé au hasard
Quelques observations s'imposent.
Le texte remanié pendant les travaux de l'intersession (décembre 1962 - septembre 1963) et préparé par la Commission « mixte » aurait dû être discuté en séance plénière lors de la deuxième session des travaux conciliaires. Au lieu de cela, la discussion a été reportée à la troisième session. Les novateurs ont ainsi eu le temps de le modifier encore davantage par le biais de sous-commissions composées de théologiens qui leur étaient favorables et dont la participation aux travaux a été rendue possible par la réforme du règlement du Concile, qui est entrée en vigueur en même temps que le début de la deuxième session, en septembre 1963.
Ces modifications supplémentaires ne semblent toutefois pas du tout correctes du point de vue de la procédure, car elles ont été apportées à un texte qui n'avait pas été discuté en séance plénière dans ses différentes parties. Pour respecter la soi-disant « liberté du Concile », elles n'auraient dû être introduites qu'après la présentation en séance plénière du texte révisé pendant l'intersession, afin de tenir compte des éventuelles observations formulées par les Pères conciliaires. Au lieu de cela, ce n'est pas le texte initialement élaboré par la commission mixte (et mal accueilli par les progressistes) qui est arrivé en salle, mais le remaniement supplémentaire auquel l'avaient soumis les sous-commissions. C'est donc un texte révisé à deux reprises, la deuxième fois conformément à la demande de la Conférence de Fulda, alignée sur les positions de Karl Rahner et de ses compagnons, qui fut présenté en séance plénière, et ce seulement après que l'ajout de quatre nouveaux membres eut donné la majorité aux innovateurs au sein de la Commission théologique. Comme on peut le constater, rien n'a été laissé au hasard. Il est vrai que les Pères ont été autorisés à envoyer des emendationes écrites jusqu'à la fin janvier 1964 ; il s'agissait toutefois d'un modeste substitut à la libre discussion en assemblée.
Le parcours du nouveau schéma
Suivons maintenant le parcours ultérieur du De Divina Revelatione, en nous basant toujours sur la reconstitution du P. Wiltgen, qui nous semble sérieuse et fiable.
Les experts des sous-commissions ont achevé leurs travaux le 24 avril 1964 et ont envoyé leurs textes au Secrétariat de Bea pour approbation. Le 30 mai suivant, ce dernier a donné son feu vert, déclarant qu'une réunion conjointe avec la Commission théologique n'était pas nécessaire (159). Le Secrétariat a donc approuvé le texte préparé par les sous-commissions. L'une d'entre elles, présidée par Mgr Dodewaard, mentionné ci-dessus, s'est rendue responsable, comme on s'en est rendu compte par la suite, d'avoir introduit dans le texte une véritable hérésie, celle de la «veritas salutaris» comme seule vérité enseignée sans erreur dans les Écritures. Hérésie, car elle niait implicitement le dogme de l'inerrance de toute l'Écriture, même dans les choses qui ne concernent pas directement la foi. Mais continuons dans l'ordre.
Après l'approbation du Secrétariat, l'ensemble de la Commission théologique tint quatre réunions, du 3 au 5 juin 1964, sans apporter apparemment de modifications supplémentaires (sinon celles-ci auraient dû être soumises au Secrétariat, inaugurant ainsi la procédure susmentionnée). Le texte a ensuite été envoyé à la Commission de coordination, qui l'a approuvé. L'approbation du pape, « comme base de discussion », est intervenue le 3 juillet suivant (160). Deux semaines après l'ouverture de la troisième session, le schéma a finalement été présenté en séance plénière par l'archevêque Florit, le 30 septembre 1964. Il ne restait plus grand-chose du texte original, proposé à l'époque par Ottaviani et rejeté (comme nous l'avons vu) sans discussion, et les novateurs dominaient désormais la situation, à tel point que le schéma ne fut pas présenté par le cardinal Ottaviani, bien qu'il fût toujours officiellement président de la Commission théologique. Le schéma fut discuté pendant cinq jours. Le débat s'est clos le 6 octobre 1964. La Commission théologique a réexaminé tout ce qui avait été dit oralement et mis par écrit au cours du débat et, le 20 novembre 1964, dernière Congrégation de la session, elle a remis aux Pères « la nouvelle rédaction du schéma ». Ceux-ci pouvaient proposer des observations supplémentaires par écrit avant le 31 janvier 1965.
Le Coetus Internationalis Patrum, qui regroupait près de trois cents évêques fidèles à la Tradition (ils avaient dû s'organiser, même si cette organisation était rudimentaire par rapport à celle de la riche Alliance européenne), envoya à ses membres un document de onze pages accompagné d'une lettre dans laquelle il affirmait que l'approbation du schéma était subordonnée à l'acceptation de certaines modifications essentielles, concernant entre autre les articles 9, 11 et 19. La Commission théologique n'a toutefois pas voulu procéder à aucune modification, et d'ailleurs, juridiquement, elle n'était pas tenue d'accepter un amendement, en tant que tel (161).
Le vote a eu lieu au début de la IVe session (20-25 septembre 1965). Selon le P. Wiltgen, il y a eu ici une violation flagrante de la procédure. En effet, le règlement (art. 61 § 3) exigeait qu'un membre de la Commission théologique fasse un rapport aux Pères sur le texte avant le vote, mais cela n'a pas eu lieu (162). Il y eut six votes, un pour chaque partie du schéma. Chaque partie fut approuvée à une majorité supérieure aux deux tiers requis par le règlement. Une partie des votes favorables avait été donnée « iuxta modum », c'est-à-dire en demandant des modifications, en particulier aux articles 9, 11 et 19 susmentionnés. Mais la Commission a refusé de changer quoi que ce soit, se retranchant derrière l'argument que les textes avaient été approuvés à une majorité supérieure aux deux tiers des voix requises par le règlement. Le principe de la majorité qualifiée, jugé deux ans auparavant par les novateurs comme « un point faible de la procédure » (voir supra), leur convenait désormais pour se retrancher derrière les positions avantageuses qu'ils avaient patiemment acquises.
L'argumentation de la Commission était formellement légitime, mais en réalité spécieuse, car le vote favorable d'une majorité, même qualifiée, ne privait pas la Commission de la faculté d'accepter des amendements joints à une partie de ces votes, qui constituait également une partie de la majorité. Si elle l'avait voulu, la Commission aurait pu les accepter sans violer en aucune façon le règlement. (Au contraire, dans le cas largement illustré ci-dessus de la violation de la légalité conciliaire du 21 novembre 1962, le fait de ne pas avoir atteint le quorum des deux tiers des voix sur la proposition d'interrompre la discussion avait en soi une seule conséquence juridique légitime, toujours conformément au règlement : l'obligation de poursuivre le débat).
Critiques très graves et intervention obligatoire de Paul VI
Les critiques du Coetus Internationalis Patrum et d'autres évêques « conservateurs » portaient principalement sur les articles 9, 11 et 19 de la Dei Verbum. Ils contenaient de graves ambiguïtés concernant le concept de Tradition et sa relation avec l'Écriture Sainte (art. 9) ; ils ne confirmaient pas clairement le dogme de foi divine et catholique de l'inerrance des Écritures, mais au contraire (comme nous l'avons dit) ouvraient la porte à une véritable hérésie, insinuant que l'Écriture Sainte enseigne avec certitude et vérité la seule « vérité salvifique »(veritas salutaris) (art. 11) ; elles ne donnaient pas une idée claire de l'historicité des Évangiles, laissant transparaître dans le texte les thèses erronées et funestes de la soi-disant « méthode historico-critique » (art. 19). Tout cela portait atteinte au dépôt de la foi.
La Commission théologique, cependant, ne bougeait pas de ses positions, grâce à la majorité modernisatrice qui s'était dégagée en son sein et qui réussit à imposer son point de vue dans tous les votes internes organisés afin d'accueillir les modifications demandées. Les progressistes continuaient d'affirmer qu'on ne pouvait pas modifier un texte approuvé par plus des deux tiers des Pères, mais il faut rappeler qu'ils avaient réussi à imposer le rejet de toute modification avant même le vote : la volonté de faire prévaloir leur texte à tout prix était donc déjà bien présente avant le vote.
La situation était scandaleuse. C'est pourquoi les évêques fidèles à la Tradition ont exercé une forte pression sur le Pape afin qu'il intervienne avec autorité avant le vote final sur le schéma en séance publique (163). Après avoir consulté le cardinal Bea et les quatre modérateurs, Paul VI décida d'exercer ses pouvoirs, c'est-à-dire de convoquer à nouveau la Commission théologique, « non pas pour modifier – écrivit-il – le schéma ou le travail de la Commission, mais pour l'améliorer sur certains points d'une grande importance doctrinale ». Il souhaita que le cardinal Bea « soit invité à la réunion de la Commission théologique », au cours de laquelle fut lue sa lettre contenant les directives pour résoudre les passages épineux (164). Les solutions finalement adoptées, après un débat minutieux, furent donc celles choisies par la Commission avec l'approbation de Bea et coïncidaient en partie avec les suggestions papales.
À propos de la « veritas salutaris », Bea fit remarquer que l'incise n'avait pas été approuvée lors d'une réunion de la Commission mixte, mais ajoutée à une date ultérieure (165). Cela rendait légitime sa suppression du texte (elle ne put être supprimée que sur la base de cette objection juridique). Les modifications (une à l'article 11 et deux ajouts au texte) ont ensuite été approuvées le 29 octobre 1965, tandis que le vote public définitif a eu lieu le 18 novembre 1965. Seuls six non placet ont été exprimés sur 2350 votants (166). En réalité, il s'agissait d'une solution de compromis qui ne résolvait pas définitivement les problèmes. Le passage modifié de l'article 11 stipule : « [...] il faut donc considérer que les livres de l'Écriture enseignent avec certitude, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu, pour notre salut, a voulu voir consignée dans les Saintes Écritures ». On voit sans l'ombre d'un doute que ce texte peut encore permettre, à ceux qui le souhaitent, l'interprétation hétérodoxe selon laquelle la vérité qui est enseignée « sans erreur » dans les Saintes Écritures est uniquement celle qui concerne « notre salut » (167).
La renaissance du modernisme
Sur cette triste et inédite affaire, nous voulons noter ce qui suit.
Le président légitime de la Commission théologique était toujours le cardinal Ottaviani, mais Paul VI voulut que ce soit le cardinal Bea qui préside de facto la séance de reconvocation de la Commission. Avec cette « présidence » extraordinaire, on peut dire que Bea remporta aussi symboliquement la victoire contre Ottaviani, le defensor fidei. Mais il s'agissait d'une victoire à la Pyrrhus, car la terrible responsabilité, devant Dieu et les fidèles, d'avoir accepté, avec l'autorisation du pape, une solution de compromis sur de graves questions de foi pesait et pèse encore sur lui, ainsi que sur Paul VI.
En ce qui concerne l'insertion subreptice de la phrase sur la « vérité salvifique », nous nous demandons à quel moment du processus complexe de l'élaboration du schéma elle a eu lieu. Peut-être lorsque la Commission théologique a réexaminé toutes les observations des Pères et a préparé le schéma qui a ensuite été soumis au vote sans être soumis à nouveau à l'examen du Secrétariat de Bea ? Mais le schéma, avant d'être soumis au vote, n'aurait-il pas dû être examiné par la Commission de coordination, composée, comme on s'en souviendra, de neuf cardinaux et présidée par le pape ? En somme, comment un texte contenant une incidence aussi ouvertement hérétique a-t-il pu être approuvé définitivement juste avant le vote public ? Ce fait très grave démontre l'inefficacité des organes directeurs du Concile et la confusion qui y régnait (et la confusion, on le sait, ne vient pas du Saint-Esprit). Elle démontre en outre que l'aversion d'Ottaviani et de Tromp pour les commissions mixtes, en particulier en matière doctrinale, était parfaitement justifiée : même sans le vouloir, elles favorisaient les imbroglios procéduraux et les coups de force.
On peut s'étonner de l'acharnement dont ont fait preuve les novateurs pour défendre leurs textes, même face aux demandes ouvertes de modification que le pape a finalement dû leur adresser. Dans cette résistance à outrance, nous voyons une preuve de la perte de prestige de la papauté en tant qu'institution, causée par la politique oblique de Jean XXIII, largement illustrée ci-dessus ; perte accentuée sous Paul VI, qui a achevé l'image inédite du Souverain Pontife, d'un côté simple notaire du Concile, de l'autre simple arbitre super partes.
Il faut également rappeler que pour de Lubac, la Dei Verbum était « l'expression la plus importante et la plus décisive de tout le Concile » (168). Les « nouveaux théologiens », activement présents dans la refonte finale du texte, savaient parfaitement que la corruption protestante des sources de la Révélation, sanctionnée par un Concile œcuménique même seulement pastoral, pénétrerait fatalement dans les universités pontificales et les séminaires, corrompant finalement la foi des prêtres et des croyants, au point de la rendre sans défense face à l'assaut de la pensée et de la mentalité contemporaines, dont ils étaient admirateurs et disciples (certains d'entre eux jusque dans leur biographie).
Il ne fait aucun doute, comme l'a affirmé Étienne Fouilloux, qu'avec le rejet du schéma De Fontibus Revelationis, la phase de réaction antimoderniste prend véritablement fin (169). Et donc (voir supra) la Contre-Réforme catholique elle-même, qui fut, grâce au Concile dogmatique de Trente, la véritable réforme de l'Église, contre les schismes et les terribles hérésies des protestants.
Mais cela n'a signifié rien d'autre que la résurrection du modernisme, tel un phénix renaissant de ses cendres, de la salutaire « intransigeance romaine », laissée complètement et coupablement tomber dans le néant par le « bon pape Jean ».
Notes
150 - Pour cette reconstruction, cf. R.M. Wiltgen, pp. 176-177. Les sous-commissions « spéciales et mixtes », comme on s'en souviendra, ont été introduites par Jean XXIII pour briser l'hégémonie de la Curie romaine.
151 - R.M. Wiltgen, p. 58, p. 64.
152 - Ph. Levillain, pp. 299-313 ; G. Alberigo, Dinamiche e procedure nel Vaticano II, op. cit., passim ; Id., Concilio acefalo ?, op. cit., pp. 205-217.
153 - Ph. Levillain, pp. 299-304.
154 - Ibid., pp. 81-82.
155 - Pour tous ces détails, cf. R.M. Wiltgen, pp. 175-176.
156 - F. Spadafora, La « Nuova Esegesi », op. cit., p. 161. L'auteur rapporte l'original latin en note.
157 - Pour cette reconstitution des faits, nous nous basons toujours sur R.M. Wiltgen, p. 176.
158 - Ibid.
159 - Ibid., pp. 176-177.
160 - Ibid.
161- Ibid., p. 178.
162 - Ibid. La violation fut manifestement tolérée par le cardinal modérateur qui dirigeait le débat dans la salle.
163 - Ibid., p. 180 ; F. Spadafora, La « Nuova Esegesi », p. 164.
164 - R.M. Wiltgen, p. 181.
165 - Ibid., pp. 182-183. Le responsable de ce coup de force semble avoir été le Néerlandais Mgr Jan van Dodewaard, évêque de Haarlem, président de la sous-commission qui s'était occupée des chapitres du schéma concernant les Saintes Écritures (pour une reconstitution précise du délit, voir F. Spadafora, op. cit., p. 160 ss. Mgr Spadafora, exégète éminent, fut chargé de transmettre à la Commission un avis synthétique contenant la véritable doctrine de l'Église sur ce point ; cet avis fut transmis au pape par le cardinal Browne, vice-président de la Commission théologique – ibid., p. 164).
166 - R.M. Wiltgen, p. 183.
167 - Pour le texte conciliaire en italien, voir I DOCUMENTI DEL CONCILIO VATICANO II. Costituzioni – Decreti – Dichiarazioni, Edizioni Paoline, 1980, p. 159. Pour l'original en latin : CONCILII OECUMENICI VATICANI II. Constitutiones – Decreta – Declarationes, Desclée ac Socii, Romae 1967, p. 9 : « Cum ergo omne id, quod auctores inspirati seu hagiographi asserunt, retineri debeat assertum a Spiritu Sancto, inde Scripturae libri veritatem, quam Deus nostrae salutis causa Litteris Sacris consignari voluit, firmiter, fideliter et sine errore docere profitendi sunt ».
168 - Karl-Heinz Neufeld Sj, Vescovi e teologi al servizio del Concilio Vaticano II, dans René Latourelle (sous la direction de), Vaticano II : Bilancio e prospettive. Venticinque anni dopo (1962-1987), Cittadella ed., Assise 1987, pp. 83-109 ; p. 101.
169 - Cf. « sì sì no no », 31 mars 2000, p. 2.