Notre lettre 1312 publiée le 5 décembre 2025

UN BREF EXAMEN CRITIQUE

DES NOUVEAUX SACREMENTS :

ET SI ON PARLAIT DU FOND ?

L’abbé Barthe est bien connu des lecteurs de Paix Liturgique. Depuis de nombreuses années, il contribue avec une liberté de ton et une érudition manifeste à la défense de l’écosystème traditionnel. En irriguant l’arsenal de défense de la tradition de l’Eglise par ses articles, le site qu’il dirige resnovae.fr (Res Novae – Perspectives Romaines, lettre d’analyse et de prospective), ainsi que par ses ouvrages, l’abbé Barthe a acquis au fil des ans une autorité qui, si elle n’est pas partagée par tous, conduit à tout le moins à ce que ses publications soient toujours commentées. On pourrait citer la série de Carnets proposés ces dernières années par L’Homme Nouveau dans sa collection Hora Decima et qui sont autant de réflexions sur des sujets d’actualité religieuse. Entre autres, La messe à l’endroit, un nouveau mouvement liturgique (2010), La tentation de ralliement, être catholique en démocratie (2022), L’Eglise demain, pour une vraie réforme (2024) et tout récemment, dans le même format, la réédition de l’encyclique de Pie XI Quas primas accompagnée d’une introduction remarquée. En 2018, dans le sillage de ses nombreuses études liturgiques, l’abbé Barthe avait publié chez Via Romana un maitre-ouvrage, La messe de Vatican II – dossier historique, qui présente le grand intérêt de replacer la réforme liturgique dans son contexte, d’exposer les faits et de montrer combien la manière avec laquelle le nouveau missel romain a été non pas refondu mais composé sous le pontificat de Paul VI, n’a pas de précédent.

Tout récemment, ce sont les éditions Contretemps (maison d’édition de nos amis de Renaissance Catholique) qui viennent de publier son dernier livre, un bref examen critique des nouveaux rituels, réformés à la suite du Missel de Paul VI Les sept sacrements, d’hier à aujourd’hui.

Une étude bienvenue dans un contexte de privation des sacrements traditionnels

Accessible, tant par son prix (10€) que par son nombre de pages (98 pages), l’étude de l’abbé Barthe va droit au but et se borne à comparer les textes des anciens et des nouveaux rituels des sept sacrements. Si le sacrement de la messe a nourri une bibliographie prolixe depuis la réforme liturgique (on pense particulièrement à La nouvelle messe de Louis Salleron ou au fameux Bref examen critique du Nouvel Ordo Missae des cardinaux Ottaviani et Bacci), c’est la première fois que la réforme du rituel des sept sacrements est analysée de façon synthétique dans une seule et même étude.

Il faut dire que le sévère coup d’écrou liturgique donné par le motu proprio Traditionis Custodes sous le pontificat du pape François (et non toujours véritablement desserré par Léon XIV, même si une série de signaux faibles peuvent le laisser espérer) a passablement entamé la liberté des fidèles à pouvoir se rendre non seulement à la messe traditionnelle, mais aussi hélas à pouvoir bénéficier des six autres sacrements selon l’ancien rituel. Dans ce contexte de persécution et de mépris à l’endroit les fidèles désireux de vivre leur foi selon les anciens livres liturgiques, l’étude de l’abbé Barthe leur rend justice.

Car c’est là, sans doute, le message principal de l’étude de l’abbé Barthe : l’amour prend toujours tout, il ne saurait choisir. Dans cet esprit, lorsqu’il est reconnu à des baptisés la possibilité de vivre la messe dans sa forme traditionnelle (même si cette possibilité est notablement contrariée dans le contexte actuel, on l’a déjà dit), il y a grave incohérence à ce que cette possibilité, par ruissellement, ne soit pas accordée aux autres sacrements. Pourquoi donc ? Tout simplement parce que la messe, selon l’enseignement traditionnel de l’Eglise (appuyé en cela par l’apport théologique reconnu et estimé de saint Thomas d’Aquin), est considérée comme le saint et très auguste sacrement. La messe, contenant Jésus Hostie l’auteur même des sacrements, voit ainsi les six autres sacrements comme étant ses satellites et directement orientés à elle, à l’Eucharistie.

Dans cette logique, les réformateurs de la messe ont poursuivi leur œuvre quant aux six autres sacrements, en prenant précisément à leur compte les principes qui avaient prévalu à la création de la nouvelle messe.

Bonne foi et bon sens du rituel tridentin

Mais alors, pour ce qui est des fidèles attachés à l’ancienne liturgie, que peut-il en être ? Il y a évidemment même cohérence à vouloir faire respirer son âme non seulement dans la messe traditionnelle mais aussi dans l’esprit tridentin du rituel ancien des autres sacrements. Au-delà de la porosité qui existe aujourd’hui, spécialement dans la jeunesse, entre les univers liturgiques modernes et traditionnels, qu’on ne s’y trompe pas cependant : beaucoup de « revenants » à la pratique religieuse ou de convertis sont habités par l’instinct de la bonne foi et du bon sens. L’un et l’autre leur font dire, sans qu’ils soient « instrumentalisés » par le clergé traditionnel ou des associations traditionnelles, que c’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures. Ils n’ont rien en soi contre l’univers Paul VI, mais leur choix est fait. Leur amour retrouvé du bon Dieu leur fait prendre tout, non seulement la messe tridentine mais aussi les autres sacrements et tout ce qui va avec.

Du reste, ce qui frappe en lisant les différents chapitres du livre de l’abbé Barthe, c’est la différence d’esprit, latente, qui sous-tend les changements rituels (paroles sacramentelles, cérémonies, etc.).

Ainsi, la modification du baptême donne satisfaction aux modernes, gênés par les dogmes « durs » comme l’enfer, le purgatoire, et surtout le péché originel. Il en résulte une tonalité moins solennelle et surtout un véritable escamotage de la bataille contre le démon. Sur ce registre, la comparaison entre les deux rituels ne souffre aucune contradiction, appuyée notamment par la citation d’une interrogation du pape Paul VI lui-même qui laisse songeur… Suite à la parution du nouvel Ordo baptismi parvulorum, le pape avait affirmé : « Peut-être avons-nous eu tort de supprimer les exorcismes. »

La confirmation réformée ressemble davantage à une joyeuse fête qu’à un adoubement sobre et grave signifiant l’entrée surnaturelle du confirmé dans l’âge adulte. Du point de vue du style liturgique, la cérémonie réformée de la confirmation « innove formellement de bout en bout, comme par principe » explique l’abbé Barthe. Dans le texte, la multiplicité maximale d’options dans la confirmation nouvelle impressionne.

Pour le sacrement de pénitence, devenu celui de réconciliation, l’auteur rappelle combien, avant l’effondrement de la pratique de la confession, les permanences au confessionnal occupaient un temps considérable dans le ministère des prêtres. Outre le fléchissement des formules, on découvre avec une certaine stupeur que, dans le nouveau rituel, la prière conclusive de l’absolution dans le rite traditionnel a été purement et simplement supprimée dans le nouveau. Fini la formule disant au pénitent : « Que la passion de notre Seigneur Jésus-Christ, les mérites de la bienheureuse Vierge Marie et de tous les saints, tout ce que vous aurez fait de bon et supporté de pénible, vous procure une plus grande abondance de grâces, le pardon de vos péchés et surtout la couronne de la vie éternelle. Ainsi soit-il. »

L’extrême-onction, qui devient le sacrement des malades, a subi un toilettage radical. A un tel point que dans son étude universitaire ciblée sur Les transformations du rituel catholique des mourants, Guillaume Cuchet constate : « La dédramatisation de la mort chrétienne et le silence sur les fins dernières sont la version catholique de ce nouveau tabou, l’église ayant rompu avec son ancien discours sur la mort. »

Pour ce qui est du sacrement de l’ordre, on découvre que les réformateurs ont imposé au rituel ancien non seulement une cure d’amaigrissement mais aussi une certaine édulcoration des formules. Par exemple, celle de la porrection (présentation) au nouveau prêtre du calice contenant du vin mêlé d’eau portant une patène avec une hostie. Les paroles du rituel traditionnel sont particulièrement explicites : « Recevez le pouvoir d’offrir un sacrifice à Dieu et de célébrer les messes pour les vivants et pour les défunts » quand elles deviennent dans le rituel moderne « Recevez l’offrande du peuple saint pour la présenter à Dieu. Prenez conscience de ce que vous ferez, vivez ce que vous accomplirez. »

Pour le mariage, l’échange des consentements des époux donne l’impression d’une rédaction maladroite, qui veut trop en dire parce que trop soucieuse de s’adapter aux personnes. Les réformateurs ont voulu composer un échange moins sobre mais plus sentimental.

Ce tour d’horizon rapide (et qui mérite, on l’aura compris, d’être prolongé par la lecture de l’ouvrage de l’abbé Barthe) plonge le lecteur dans un abîme de perplexité. Comment peut-on priver les fidèles des trésors de la tradition de l’Eglise ?

Un appel clair à un vrai débat liturgique

Dans sa préface érudite, Mgr Schneider cite abondamment des extraits des mémoires de Dom Boniface Luykx (1915-2004). Ce moine belge bi-ritualiste, fut un membre influent du mouvement liturgique préconciliaire, un érudit de renommée mondiale, collaborateur de la phase préparatoire de Vatican II, expert lors des quatre sessions du concile et membre de la commission vaticane qui élabora les nouveaux rites des sacrements. Son diagnostic a le mérite d’être clair : « La nouvelle liturgie est souvent si réduite à l’état de squelette qu’elle perd non seulement sa valeur rituelle, mais aussi son attrait pour la foi des ministres et des fidèles. Une liturgie aussi appauvrie s’intègre parfaitement dans un contexte séculier, mais ne s’inscrit pas dans la continuité de la tradition chrétienne. »

Bien sûr, certains pourront regretter au fil des pages l’usage répété d’adjectifs qu’ils considéreront comme diffamants : « cérémonie appauvrie », « formule indigente », « rite faible », « le clair est remplacé par l’insaisissable, le vrai par le flou ». Passée la contradiction affective de ceux qui usent des nouveaux rituels et qui pourront se sentir blessés, il est à souhaiter que ces pages d’analyse soient surtout pour eux l’occasion d’une réflexion de fond. Car c’est de cela dont il s’agit. Le but de ce bref examen critique n’est évidemment pas d’attaquer les personnes vivant dans l’univers du nouveau rituel mais d’ouvrir à un questionnement liturgique. Cette étude comparative entre nouveau et ancien rituel des sacrements est aussi l’occasion de faire valoir les droits des pauvres de l’Eglise à qui l’on empêche trop souvent d’accéder à la richesse de l’ancien rituel, spécifiquement pour les baptêmes, les confirmations et les mariages. Une richesse qui a fait le bonheur de la foi de nombreuses générations et qui n’a aucune raison d’être mise sous cloche. Qu’on se le dise.

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