Notre lettre 358 publiée le 23 octobre 2012
L’ENVOL DE SUMMORUM PONTIFICUM AUX ÉTATS-UNIS :
Le modèle pour notre avenir, pour la paix et la réconciliation
Le National Catholic Register, le plus ancien hebdomadaire catholique américain vient de publier un long article à l’occasion du 5ème anniversaire de la mise en place du Motu Proprio Summorum Pontificum. Cet article fournit de nombreuses informations sur le bilan du Motu Proprio dans le pays qui compte désormais, au premier rang dans le monde devant la France, le plus grand nombre de célébrations de messes selon la forme extraordinaire du rite romain.
I – L’ARTICLE DU REGISTER
5 ans après, le Motu Proprio de Benoît XVI favorise une meilleure appréciation de la liturgie
par Trent Beattie, le 24 septembre 2012
Depuis que Summorum Pontificum est entré en vigueur en septembre 2007, Mary Kraychy a entendu de nombreux commentaires élogieux au sujet de la messe traditionnelle.
Mary Kraychy est la directrice de l'Alliance pro Ecclesia Dei – un groupe formé pour soutenir la lettre apostolique du même nom, publiée motu proprio (« de sa propre initiative ») par Jean-Paul II en 1988 et pour répondre aux attentes des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle.
« Le pape Jean-Paul II a voulu faire comprendre à l'Église que le trésor de la liturgie traditionnelle devait être proposé à tous », explique Mary Kraychy.
« Il avait déjà, dès 1984, encouragé les évêques à œuvrer dans cette direction. »
Cette lettre, Quattuor Abhinc Annos (il y a quatre ans), avait été envoyée aux présidents des conférences épiscopales du monde entier. Les évêques y étaient informés qu'il reconnaissait aux fidèles la possibilité d'assister aux offices selon le missel de 1962.
Toutefois, en 1988, quatre ans après que la lettre ait été publiée, il y avait encore très peu de réactions au document du Saint-Père. Mary Kraychy attribue cela à une mauvaise compréhension du statut du Missel de 1962 dans l’Église. « Il y avait une croyance, commune aux évêques et aux laïcs, que la messe traditionnelle était bizarre, archaïque, voire carrément inacceptable », dit-elle. « Il y avait une impression très répandue que l’ancienne messe avait été abandonnée pour toujours et que les messes en langue vernaculaire avec guitare et piano étaient désormais la norme. »
Face à cette terrible situation, Mary Kraychy ne voulait pas rester inactive, c'est ainsi qu'elle a fondé, avec 14 autres laïcs, l’Alliance pro Ecclesia Dei. « Nous avons commencé à faire tout notre possible pour faire connaître la situation de la liturgie traditionnelle et la faire mieux connaitre et aimer. » Ces efforts furent immédiatement couronnés de succès, mais beaucoup plus encore avec la promulgation de la lettre apostolique Summorum Pontificum de Benoît XVI, également publiée en forme de motu proprio le 14 septembre 2007.
Depuis cette date, la célébration selon le Missel de 1962 a été officiellement accordée à tout prêtre qui souhaite l’utiliser et à tout « groupe stable de fidèles » qui souhaite en bénéficier. L’action du Saint-Père a permis une hausse significative du nombre de célébrations de messes traditionnelles.
En septembre 2007, Mary Kraychy décomptait 235 messes dominicales régulièrement offertes selon le missel de 1962 aux États-Unis. Cinq ans plus tard, ce nombre est passé à 475 (soit 240 célébrations supplémentaires). « Nous avons vu une augmentation lente mais régulière du nombre de messes traditionnelles dominicales jusqu’en septembre 2007 mais, depuis, l’augmentation est devenue rapide et tout aussi régulière. Si vous prenez la précédente période de cinq ans (2002-2007), l'accroissement net de messes dominicales était de 55 célébrations nouvelles, tandis que l'accroissement net de ces cinq dernières années est de plus de 240 célébrations », explique-t-elle.
Si l'on y ajoutait les messes de semaine, les chiffres seraient encore plus impressionnants !
« En plus des prêtres qui célèbrent exclusivement la forme extraordinaire, il y en a beaucoup qui commencent à le faire petit à petit en célébrant en semaine dans leurs paroisses », poursuit-elle. « Ces derniers sont surtout des prêtres diocésains alors que le premier groupe est composé principalement de prêtres appartenant à des instituts religieux comme la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre ou l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre. »
Les prêtres diocésains constituent la majorité des participants aux sessions liturgiques organisées par les Chanoines de Cantius. Les cours sur des sujets tels que l’histoire, la spiritualité et les rubriques de la messe traditionnelle en latin ont commencé juste avant la publication de Summorum Pontificum et continuent à ce jour.
Au cours des cinq dernières années, près de 1000 prêtres et séminaristes ont été formés par les chanoines à célébrer la messe selon le missel de 1962. Environ 80 % de ces participants sont des prêtres diocésains, et 20 % appartiennent à des ordres religieux.
Le millième participant sera formé au cours de la prochaine session de formation qui aura lieu du 23 au 26 octobre 2012 à Chicago. Membre des Chanoines de Cantius, le Père Scott Haynes témoigne : « Avant la publication du Motu Proprio du Saint-Père, nous avions un ou deux prêtres qui venaient à nous au compte-goutte pour découvrir le Missel de 1962. Puis, juste avant sa sortie, nous avons tenu notre première session de formation… Nous n’avons pas cessé depuis ! Nous sommes très reconnaissants de l’action bienveillante du Saint-Père et sommes enthousiastes d’aider toujours plus de prêtres et de séminaristes à apprendre à célébrer ce qu’on appelle aujourd’hui la forme extraordinaire. »
Pour en savoir plus sur ces formations et les documents pédagogiques disponibles, vous pouvez consulter le site des chanoines de Cantius qui viennent de publier un nouveau livre, The Mystical Theology of the Mass (La Théologie mystique de la messe), pour enrichir cette documentation. Il a été écrit par le Père Haynes et comprend un avant-propos du cardinal Raymond Burke et une introduction d’Alice von Hildebrand. Ce livre, comme beaucoup d’autres documents, est rédigé pour le clergé comme pour les laïcs. Les Chanoines de Cantius organisent en effet également des sessions pour les laïcs, et le Père Haynes se félicite de cette occasion de faire mieux comprendre et aimer la forme extraordinaire.
« Il y a des laïcs qui ont déjà un désir bien défini de participer à la forme extraordinaire, mais il y en a certains qui ne savent pas trop à quoi s’attendre, et certains sont même inquiets », dit-il. « Nous voulons leur donner l’assurance que, même s’il existe différentes formes de la messe, nous sommes tous catholiques et que nous ne sommes pas dans une compétition. Nous essayons simplement de rendre à Dieu l’honneur qui Lui est dû à travers l’adoration respectueuse. »
La recherche de l’adoration respectueuse a également été une des caractéristiques de la vie du père jésuite Joseph Fessio. Le fondateur et président de Ignatius Press estime que la messe peut être offerte respectueusement à la fois dans la forme ordinaire, selon le Missel de Paul VI, et dans la forme extraordinaire, selon le Missel du bienheureux Jean XXIII.
« Bien que cela puisse surprendre certaines personnes, je pense que la forme ordinaire de la messe, si elle est effectivement célébrée comme le pape Paul VI le souhaitait, peut être tout aussi belle que la forme extraordinaire », déclare-t-il. « Mais cela ne peut pas se faire de manière arbitraire, comme cela l’a été en grande partie au cours des quatre dernières décennies. Elle doit être telle que l’a vraiment voulue Paul VI. » À quoi ressemble une telle messe ? Le Père Fessio indique qu’elle ressemble beaucoup à une messe offerte selon le missel de 1962 si elle était célébrée comme il le faudrait.
Le Père Fessio célèbre de la sorte ses propres messes, y compris celles qu’il a célébrées récemment lors de la deuxième conférence annuelle du Napa Institute. « Lors de la conférence du Napa, fin juillet, il était célébré quatre à cinq messes par jour, et elles ont toutes été célébrées ad orientem, le prêtre et les fidèles tournés vers le Seigneur. Ce fut le cas pour la forme ordinaire comme pour la forme extraordinaire et personne n’a semblé en être perturbé. »
L’une des principales raisons pour lesquelles tout cela s’est tellement bien passé, selon le Père Fessio, c’est la publication du motu proprio Summorum Pontificum, qui a rendu la forme extraordinaire plus accessible qu’auparavant. « Il ne fait aucun doute que le Motu Proprio a rendu la forme extraordinaire plus fréquente de sorte que beaucoup de fidèles ont déjà eu l’occasion de la redécouvrir ou de la découvrir et d'en admirer les richesses et la beauté. L’horreur et l’hostilité exprimées par certains lors de sa publication ont été dissipées par la réalité qui s’est offerte à leurs yeux. Pendant cinq ans, nous avons vu qu’il n’y avait rien à craindre mais beaucoup de raisons d’être reconnaissants. »
Cette reconnaissance a rendu beaucoup plus aisé le travail que poursuit le Père Fessio de restauration du Novus Ordo. « Quand les fidèles réalisent que le Novus Ordo était censé être un développement organique de la tradition, plutôt qu’une rupture, les choses se passent plus facilement pour le remettre à l’endroit », dit-il.
Une source d’inspiration majeure pour les travaux du Père Fessio est le pape Benoît XVI, qui a été son professeur : « J’ai eu la chance d'être l'étudiant d’un des esprits les plus brillants de l’Église lors de mes études de doctorat en théologie ». Et d’ajouter : « Il a eu beaucoup de choses importantes à dire sur de nombreux sujets, mais celui de la liturgie est celui ou il a eu l'occasion de s'exprimer avec le plus de constance et de clarté. Déjà dans les années 1970 le cardinal Ratzinger a publiquement émis des réserves sur les réformes liturgiques en cours parce qu’elles ne correspondaient pas aux vœux des Pères conciliaires et ne constituaient pas un développement harmonieux de la liturgie. »
Ces critiques n’étaient guère connues dans le monde anglo-saxon jusqu’à ce qu’Ignatius Press ne publie The Ratzinger Report (Entretien sur la Foi aux éditions Fayard) en 1985 et Feast of Faith (non traduit en français) en 1986. Puis, en 2000, L’Esprit de la Liturgie (éditions Ad Solem pour la traduction française), son œuvre la plus connue sur le sujet.
Lorsqu’il a succédé au Pape Jean-Paul II en 2005, beaucoup s’attendaient à ce que le pape Benoît XVI prenne quelques initiatives en faveur de la liturgie traditionnelle. Leurs attentes ont été satisfaites en 2007 avec la publication de Summorum Pontificum, un document dont on peut dire qu’il a contribué de façon très pratique à renouveler la vision de la liturgie dans les cœurs et les esprits des fidèles.
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) N'oublions pas qu'aux États-Unis, comme en Europe, nombreux ont été les fidèles qui n'ont pas été satisfaits des turbulences liturgiques, catéchétiques et pastorales qui leur ont été imposées, parfois par la force, depuis un demi siècle. Des sondages effectués auprès des fidèles aux États-Unis donnent les mêmes résultats que chez nous : un tiers au moins des catholiques pratiquants y aspirent à un retour à la liturgie traditionnelle ! Voilà pourquoi aux États-Unis comme chez nous, la forme extraordinaire connaît un grand succès lorsque les fidèles y ont accès dans la paix et la charité ! À ceci près : aux États-Unis les pasteurs sont plus pragmatiques et donc moins « totalitaires » et très souvent enclins à répondre, dans leurs diocèses et leurs paroisses, aux besoins spirituels de leurs ouailles, de sorte que le biformalisme général et universel deviendra probablement aux États-Unis la norme liturgique permettant véritablement aux deux formes du rite de s'enrichir mutuellement.
2) Un exemple : environ 300 personnes, la plupart âgées de moins de 35 ans, ont assisté le 14 septembre 2012, fête de l’Exaltation de la Sainte Croix et cinquième anniversaire du Motu Proprio, à la messe traditionnelle célébrée en la cathédrale de Miami par le recteur, l’abbé Chris Marino. C’est le site de l’archidiocèse de Miami qui nous donne cette information, y consacrant une pleine page et de superbes photos. Toujours selon l’archidiocèse, une vingtaine de séminaristes étaient dans l’assistance et l’expérience devrait se renouveler prochainement.
Cette publicité tranquille et objective donnée à la forme extraordinaire par le diocèse de Miami, et dont on trouverait facilement d’autres exemples dans les autres diocèses d’Outre-Atlantique, symbolise toute la différence entre une Église ouverte et soucieuse d’évangélisation et une Église frileuse et figée dans ses carcans idéologiques. Entre une Église qui témoigne « d’une égale sollicitude pastorale » envers les sensibilités différentes qui s’y « expriment légitimement », selon les paroles adressées par le Souverain Pontife aux évêques français lors de la première série de visites ad limina, et l’Église que nous connaissons trop souvent en France, celle qui nous ferme les portes de ses églises et de ses médias.
On pourra également relever le fait qu’aux États-Unis, plusieurs évêques ont fait une véritable place à la forme extraordinaire du rit romain au sein même de leurs séminaires diocésains (célébrations régulières de la forme extraordinaire, apprentissage pour les séminaristes diocésains de la forme extraordinaire...). Voilà des exemples concrets de véritable application du Motu Proprio Summorum Pontificum qui permettront demain aux prêtres diocésains américains de proposer à tous leurs paroissiens, la célébration des deux formes de l’unique rit romain. C’est bien là le sens du Motu Proprio de Benoît XVI. Espérons que ce type d’application franche et honnête du Motu Proprio finisse par traverser l’Atlantique pour qu’enfin cessent la « parenthèse miséricordieuse » chère à beaucoup d’évêques européens, partisans d’un véritable apartheid liturgique, et adeptes sur le fond – comme le démontrait le Père Diaz dans le texte qui fait l’objet de notre dernière lettre – d’une herméneutique de rupture de la réforme de Paul VI.
3) L’article de Trent Beattie est précieux car il s’appuie sur trois réalités complémentaires pour présenter la situation de la forme extraordinaire aux États-Unis : une association de fidèles qui se fait l'écho des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle (l’Alliance pro Ecclesia Dei), un institut sacerdotal qui l’enseigne avec succès (les Chanoines de Cantius, que nous avons présentés dans notre lettre 260) et un observateur qui en explique la portée théologique (le Père Fessio). Certes, il ne dit pas tout et laisse de côté le travail réalisé par la Fraternité Saint Pierre à partir de son séminaire de Denton (78 séminaristes), celui de l’Institut du Christ-Roi ou le dynamisme des communautés religieuses ayant embrassé le Motu Proprio (à quoi il faut ajouter la progression plus remarquable encore qu’en France des vocations dans toutes les communautés pratiquant la forme traditionnelle, y compris la Fraternité Saint-Pie X)... mais le tableau dressé est lumineux et enthousiasmant.
On sent dans ce texte, comme dans les propos de chacun des témoins qu’il cite, un grand souci de pédagogie mais aussi de charité et de profond désir de « réconciliation » : c’est sans doute un aspect de la promotion de la forme extraordinaire du rit romain trop souvent négligé de ce côté-ci de l’Atlantique.
4) À Rome, tous les indicateurs indiquent un rôle toujours plus sensible du catholicisme américain dans les organes de décision de l’Église. Sans aller jusqu’à former l’hypothèse que la Curie de demain sera " américano centrée ", il est évident que le poids des Églises d’Europe va diminuant. Du point de vue de la réconciliation paroissiale et de la paix liturgique, on ne peut que se réjouir de l’exemple américain. Tel est bien en tout cas ce qui ressort du bilan de l’application de Summorum Pontificum aux États-Unis, où pédagogie et enthousiasme priment sur les passions idéologiques et où il est désormais probable que la forme extraordinaire sera bientôt présente dans toutes les paroisses du pays, au grand profit spirituel des prêtres et des fidèles.