Notre lettre 1180 publiée le 31 mars 2025
MGR ERIC DE MOULINS-BEAUFORT
S’EXPRIME DANS LE PÈLERIN
AU SUJET DU PÈLERINAGE DE CHARTRES :
C'EST TOUJOURS LE TEMPS DU MÉPRIS
50 ANS APRÈS LE CONCILE
NOS PASTEURS CONTINUENT À REFUSER LA RÉALITÉ.
SONT-ILS IDIOTS OU MALHONNÊTES ?
Mgr Éric de Moulins-Beaufort qui, après son deuxième mandat, s’apprête à être remplacé à la tête de la Conférence des Évêques de France, possiblement par le cardinal Aveline, vient d’accorder un entretien au Pèlerin, qui l’a publié le 25 mars 2025. Entre autres sujets l’archevêque de Reims consacre à la demande du journal deux de ses réflexions au pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté à Chartres que nous reproduisions in extenso juste au-dessous de cette introduction (vous pouvez accéder en fin de page au texte de l’intégralité de l’entretien). Nous avons demandé à Christian Marquant de nous faire part des réflexions que cette déclaration lui inspire.
Extrait de l'entretien avec Mgr. de Moulins-Beaufort paru le 25 mars 2025 dans Le Pèlerin :
Q - Le pèlerinage traditionnaliste de Chartres rassemble de plus en plus de jeunes autour de la messe en latin selon l'ancien rite. Les évêques ont échoué à faire comprendre l'enjeu d'une liturgie commune pour l'unité de l'Église ?
MGR ÉRIC DE MOULINS-BEAUFORT – Le pèlerinage de Chrétienté joue sur une ambiguïté. Sans doute au départ, les participants venaient y chercher ce que les organisateurs promouvaient, c'est-à-dire se conforter dans le culte de la forme prétendument traditionnelle du rite romain. Mais aujourd'hui, beaucoup sont en quête d'une ambiance, d'un moment d'exception durant lequel ils peuvent s'affirmer comme catholiques, Français, avec des drapeaux, des bannières, et le défi d'un effort physique, qui s'était estompé peu à peu du pèlerinage des étudiants vers Chartres, lequel a fini par disparaître.
Les organisateurs, eux, se durcissent, j'en ai l'inquiétude, dans une compréhension de la Tradition qui finit par être fausse. Et l'enjeu aujourd'hui pour nous évêques c'est d'exprimer en termes clairs auprès des plus jeunes ce qu'est la tradition de l'Église : avant tout l'acte du Christ qui se transmet, se donne lui-même.
Ce n'est pas la perpétuation de coutumes, de mœurs. Ce n'est pas la tradition des aïeux, mais la tradition de Jésus qui se livre sur la croix et dans l'Eucharistie. Je relève également une ambiguïté politique : le Christ n'a pas fondé l'Église catholique pour créer des États catholiques, ni même une société catholique. Le Christ a créé l'Église pour qu'elle porte l'Évangile au monde, et qu'il soit un ferment de liberté spirituelle.
Q - Une pédagogie plus difficile à faire aujourd'hui ?
MGR ÉRIC DE MOULINS-BEAUFORT – Non, parce nous retrouvons une grande partie des jeunes qui vont au pèlerinage de Chrétienté, aux JMJ, où l'on n'a aucun problème de célébration liturgique, et dans toutes sortes de rassemblements dans nos diocèses. Les organisateurs du pèlerinage de Chrétienté se targuent de leur succès, c'est de bonne guerre, mais c'est de la guerre publicitaire. Je pense que le succès est en partie fondé sur cette ambiguïté : ils visent un but qui n'est pas ce que cherchent une grande partie des participants.
Paix liturgique : Quelle est votre réaction à la partie de cette déclaration de Mgr Éric de Moulins-Beaufort qui concerne le pèlerinage de Chartres ?
Christian Marquant : Je voudrais d’abord préciser, pour bien situer ces réponses de Mgr de Moulins-Beaufort, quelle est sa théologie politique, laquelle commande ses jugements sur la question liturgique. Homme intelligent, administrateur compétent qu’on a parfois comparé à un énarque ecclésiastique, qui a le sens de la nuance et du pragmatisme, y compris dans ses rapports concrets avec le monde traditionnel, il a aussi des structures intellectuelles bien arrêtées.
Paix liturgique : Lesquelles ?
Christian Marquant : L’archevêque de Reims, qui était promis à l’être un jour de Paris si l’épiscopat de Mgr Aupetit n’avait pas mal tourné, est un rallié profond, pour lequel la Déclaration sur la liberté religieuse de Vatican II est l’alpha et l’oméga. Dans son ouvrage Le matin sème ton grain (Bayard, Cerf, Mame, 2020), sous forme de lettre publique au Président Macron, il dit carrément, ignorant la doctrine du Christ-Roi : « Nous n’avons jamais réclamé un privilège ou une exemption des règles communes. Nous avons simplement demandé que les règles communes à toute la société s’appliquent à tous les cultes. » Ce qu’il précise chaque fois qu’on lui parle du traditionalisme. Du coup, le 2 décembre 2023, répondant à l’un des 600 séminaristes français rassemblés à Paris qui lui demandait : « L’Eglise de France a-t-elle un problème avec les traditionalistes ? », il déclarait : « Oui, sans doute en raison de notre histoire mouvementée depuis la Révolution. S’il y a une question centrale, c’est une question de théologie politique et de rapport au monde. Le décret de Vatican II sur la liberté religieuse est très clair. Le Christ n’est pas venu bâtir des nations catholiques mais il est venu fonder l’Eglise. Ce n’est pas la même chose. A force de traîner la nostalgie d’un état catholique, on perd notre énergie pour l’évangélisation. »
Paix liturgique : Vous expliquez ainsi ses actuelles déclarations ?
Christian Marquant : Pour une part. Il y aurait beaucoup à dire (et à contester !) tant les sujets abordés en si peu de lignes sont nombreux… Je ne réagirais, si vous le voulez bien, qu’à l’idée qu’il existerait une divergence importante d’intention entre les organisateurs et les pèlerins de Chartres…
Paix liturgique : Mais n’est-ce pas exact ?
Christian Marquant : Il existe bien sûr d’un côté une Association Notre-Dame de Chrétienté, qui est l’organisatrice du pèlerinage et de l’autre des pèlerins organisés en chapitres qui se retrouvent sur les routes de chartres mais les uns sont seulement les anciens des autres. Or Mgr de Moulins-Beaufort voudrait faire croire que les fidèles ou du moins une part importante d’entre eux (beaucoup, dit-il !) ne se rendraient pas compte de ce à quoi ils participent ou qu’ils y viendraient pour d’autres motifs
Paix liturgique : Selon lui ils y viendraient surtout pour l’ambiance, les drapeaux, les bannières, le défi d’un effort physique …
Christian Marquant : Je trouve cette affirmation reprise deux fois passablement insultante pour les pèlerins qui seraient manipulés par les organisateurs. Bien sûr, chaque fois qu’un évêque parle du monde traditionnel, il faut faire la part d’une certaine jalousie devant son « succès ». Mais comment est-ce possible que nos évêques soient aussi incapables de regarder les choses en face, depuis tant d’années à propos de la réalité de ce que sont, espèrent et croient les fidèles ?
Paix liturgique : Que voulez-vous dire ?
Christian Marquant : Bien sûr, les fidèles qui s’écartent de la liturgie nouvelle et viennent à la liturgie traditionnelle, notamment les jeunes qui le font désormais en nombre, ne font pas nécessairement de grandes analyses théologiques, encore que les évêques seraient fort surpris en les interrogeant sur leurs motivations. La lex orandi a l’avantage de rendre la lex credendi palpable, celle à laquelle on adhère et celle qu’on rejette. Nos pasteurs comme la plupart de leurs prédécesseurs depuis un demi-siècle refusent de voir la réalité qui est précisément qu’une partie importante des catholiques n’adhèrent pas et ne veulent pas adhérer aux orientations liturgique et théologiques qui ont tenté de s’imposer depuis l’après-concile dans l’Église d’où ma question de savoir si en ces sujets nos pasteurs sont idiots ou malhonnêtes ?
Paix liturgique : Vous y allez forts !
Christian Marquant : L’entretien de Mgr Éric de Moulins-Beaufort ne fait que renforcer ma conviction. Permettez que je cite le passage le plus étonnant « Les organisateurs du pèlerinage de Chrétienté se targuent de leur succès, c'est de bonne guerre, mais c'est de la guerre publicitaire. Je pense que le succès est en partie fondé sur cette ambiguïté : ils visent un but qui n'est pas ce que cherchent une grande partie des participants. » Notez bien que c’est aussi critique pour les organisateurs – des manipulateurs – que pour les jeunes pèlerins – des jeunes « identitaires » un peu débiles. Et tous ceux qui remplissent les églises où est dite la messe traditionnelle, plus nombreux dans un certain nombre de villes épiscopales que les maigres assistances de la cathédrale ? C’est une affirmation qui est malheureusement dans la continuité des affirmations de nos épiscopes qui continent à ignorer – ou à feindre d’ignorer la réalité du monde catholiques plus de 50 ans après le Concile… comme si il continuaient à vouloir croire près d’un demi-siècle après cette révolution qu’il n’existe pas un grand nombre de catholiques en France et dans le monde qui n’adhèrent pas aux conséquences de leur merveilleux « printemps de l’église »
Paix liturgique : Qui n’adhèrent pas au « Printemps de l’Église » ?
C’est en ces termes que l’on nous a présenté pendant des décennies les décisions du Concile et ses effets sur l’Église notamment en Europe et particulièrement en France. Aujourd’hui, c’est l’hiver profond.
Paix liturgique : Mas comment pouvez-vous l’affirmer ?
Christian Marquant : De diverses manières mais tout simplement en ouvrant les yeux ! Et notamment en scrutant les rares fois où il a été possible de saisir (et de mesurer) sans filtres l’avis des catholiques français...
Paix liturgique : Pouvez-vous donnez un exemple.
Christian Marquant : Pour vos lecteurs attentifs je crains de me répéter mais pour les autres j’espère seulement leur donner l’occasion d’ouvrir leurs yeux. En 1976, c’est-à-dire dix ans après le concile le quotidien lyonnais Le Progrès a commandité un sondage pour connaître l’avis des catholiques français au moment d’une crise majeure, celle de l’« affaire Lefebvre », qui mettait en cause l’évolution de l’Église. Ce sondage révélait entre-autre que 48% des catholiques pratiquants estimaient que l’Église était allée trop loin dans ses reformes alors que plus de 30% d’entre eux estimaient que Mgr Lefebvre avait raison … Ce qui aurait du « interpeller » nos épiscopes comme ils aiment le dire mais non suite à ce sondage ils sont devenus comme autistes… (Pour en savoir plus consultez notre lettre 698 et ss)
Paix liturgique : Mais ce sondage donne l’avis des catholiques français en 1976.
Christian Marquant : Et depuis, aujourd’hui surtout, cette tendance s’est confirmée. Paix liturgique a commandité depuis plusieurs dizaines de sondage en France (et d’ailleurs dans plus d’une quinzaine d’autres pays) qui fournissent des résultats de même nature sur l’avis des catholiques pratiquants. Je pense d’ailleurs que les réponses de ces catholiques a une valeur protestataire : au minimum un tiers des catholiques disent que, si la liturgie traditionnelle était célébrée dans leur paroisse, ils assisteraient à la liturgie traditionnelle, non pas par nostalgie du latin mais parce qu’ils la sentent plus conforme à leur manière de sentir la foi catholique, en d’autres termes à leur sens de la foi.
Paix liturgique : Cela tient-il à ce que les catholiques pratiquants sont bien plus « classiques » qu’autrefois ?
Christian Marquant : C’est certain. Les fidèles pratiquants ne représentent plus aujourd’hui en France que moins de 2% de la population. Ils se sentent minoritaires, explique le sociologue Yann Raison du Cleuziou, et se raccrochent à une religion solide.
Paix liturgique : L’on pourrait dire que d’une certaine façon ils votent avec leurs pieds.
Christian Marquant : Tout à fait, devant un clergé – surtout un haut clergé – souvent méchant ou autiste, ou en tout cas qui est dans un complet décalage avec sa base. Cela contribue à la désertion des églises, ou du moins à ne pas retenir les fidèles. Et du coup, à la baisse des quêtes et du denier du culte, qui devient dramatique.
Paix liturgique : Mais les jeunes...
Christian Marquant : Pardonnez-moi, mais les jeunes ne sont pas plus idiots que les anciens. S’ils aiment la liturgie traditionnelle et fuient les platitudes modernes, c’est souvent de manière beaucoup plus décidée et « militante » que leurs aînés. À propos d’assemblées traditionnelles regroupant de plus en plus de jeunes, on pourrait parler de « messes branchées »... Et contrairement à ce que croit Mgr de Moulins-Beaufort, les « organisateurs » ont plutôt tendance à modérer et tempérer la vigueur de leurs jugements.
Paix liturgique : Donc c’est pour cela que les pèlerins jeunes participent au pèlerinage de Chartres ?
Christian Marquant : Bien sûr, et aussi au pèlerinage provençal de Nosto Fe, de Cotignac à Saint-Maximin, et au pèlerinage breton, Feiz e Breizh, au pèlerinage espagnol de Nuestra Señora de la Cristianidad vers la basilique de Covadonga, au pèlerinage argentin de Notre-Dame de Luján, au pèlerinage belge du sanctuaire de Notre-Dame de Foy, sans oublier le pèlerinage annuel du Christ-Roi, à Lourdes, de la Fraternité Saint-Pie-X.
Paix liturgique : Mais pourquoi font-ils ce choix ?
Christian Marquant : Je dirais parce qu’ils sont catholiques. Ils y découvrent naturellement la transcendance catholique.
Paix liturgique : Comment ?
Christian Marquant : Dans la conformité aux enseignements de l’Évangile, dans leur reconnaissance qu’ils sont pécheurs, qu’ils doivent se repentir.
Paix liturgique : Mais la liturgie dans cela ?
Christian Marquant : Je pense qu’un homme qui se reconnaît pécheur qui en assistant à la messe sait qu’il assiste au renouvellement du sacrifice du Christ au calvaire se sent plus à l’aise dans le silence et à genoux qu’en fanfaronnant
Paix liturgique : Mais Mgr de Moulins-Beaufort affirme que les jeunes qui se rendent au pèlerinage de Chartres sont aussi ceux qui vont aux rassemblent diocésains ou aux JMJ…
Christian Marquant : En partie, c’est sûrement vrai. Mais on pourrait faire la remarque dans l’autre sens : ceux qui vont aux JMJ viennent aussi aux pèlerinages traditionnels. Il y a aujourd’hui une fluidité du public catholique qui profite largement à la liturgie traditionnelle. L’immense majorité de ceux qui entrent encore dans les séminaires diocésains sont des garçons qui ont une solide foi catholique et connaissent la profondeur et la sainteté de la liturgie traditionnelle même si souvent il leur est interdit de la suivre et une fois devenu prêtre de la célébrer
Paix liturgique : Mais aux JMJ ?
Christian Marquant : Les JMJ ? Vouloir participer à un évènement catholique mondial n’empêche pas plus d’un pèlerin d’être parfois choqué par les débordements notamment liturgiques qui se déroulent lors de ses manifestations
Paix liturgique : Vous pensez à quoi ?
Christian Marquant : Aux hosties distribués comme des bonbons par exemple.
Paix liturgique : Mais vous admettez que ceux qui participent à Chartres peuvent aussi participer à des liturgies nouvelles ?
Christian Marquant : Pour la même raison que ceux qui sont interrogés dans les sondages de Paix liturgique et disent qu’ils assisteraient volontiers à la messe traditionnelle : parce que l’offre des paroisses ne correspond pas à la demande. La liturgie traditionnelle n’est célébrée aujourd’hui que dans moins d’une zone paroissiale sur dix et il existe encore des diocèses ou elle est purement et simplement interdite. Alors vous comprendrez que bien des fidèles qui ne peuvent choisir puissent aller aussi à la liturgie moderne, mais cela nous arrive à tous et n’est pas sans conséquences...
Paix liturgique : Comment ?
Christian Marquant : Les assistants habituels à la messe tridentine assistent aussi, bien entendu, à des obsèques ou à des mariages dans le rite nouveau. Mais en fait cela génère souvent C’est ce que j’appelle l’effet coca-cola : on préfère le café au liquide un peu caféiné. Je crois que de nombreux fidèles deviennent adeptes de la liturgie traditionnelle par overdose de liturgie moderne qu’ils ne supportent plus...
Paix liturgique : Mais pour en revenir au pèlerinage de Chartres que pensez-vous de cette affirmation épiscopale selon laquelle les organisateurs « se durciraient » ?
Christian Marquant : Les évêques sont de grands naïfs. Ils voudraient arracher les gentils pèlerins aux méchants organisateurs. Et alors, ils serviraient aux gentils pèlerins une bouillie avec du latin qui les comblerait… Ils en sont encore là 60 ans après Vatican II !
Paix liturgique : Peut-être pourraient faire un bilan...
Christian Marquant : Oui, bien sûr qu’il serait temps d’établir un bilan de la pertinence des idées de nos grands-parents, d’en mesurer les fruits et les échecs et d’en tirer les enseignements. Paix liturgique : Il faudrait revenir en arrière ?
Christian Marquant : Au minimum, il faudrait permettre de laisser fleurir et s’épanouir les belles œuvres plutôt que d’essayer- sans succès de les phagocyter
Paix liturgique : Laissez-moi vous provoquer vers un dérapage : nos pasteurs sont-ils incompétents ou de mauvaise foi ?
Christian Marquant : Ils sont trop souvent idéologues.